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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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L’inquiétude sur le sort de mes deux frères n’était pas, elle aussi, étrangère à l’altération de la santé de ma mère. Le secteur postal de Louis s’était trouvé modifié dans sa dernière lettre, reçue un mois plus tôt, sans qu’il soit possible d’imaginer sur quel théâtre d’opérations se trouvait engagé son régiment. Des nouvelles de mon frangin, le matelot, se trouvaient plus récentes, apportées par Renous, un gars du quartier, embarqué sur le même bateau qu’André, mais bénéficiant, lui, d’une « perme » qui, dans la marine, s’accordait par roulement dès le rafiot en cale sèche pour des réparations importantes. À demi rassurée sur le sort de son cadet, ma mère n’en demeurait pas moins soucieuse. C’était alors le lot des femmes, mères, épouses, sœurs, que d’attendre, angoissées, la lettre du combattant ou, à son défaut, de tenter d’interroger les modernes oracles, diseurs de bonne aventure par le truchement des cartes, des tarots, du marc de café, des taches d’encre et d’autres méthodes divinatoires. Après avoir longtemps répugné, par raison, à s’entendre dévoiler l’avenir, ma mère, tout en demeurant incrédule, en vint à avoir recours, tant était grand son désarroi, à une de ces pythies populaires, dont le nombre croissait de mois en mois. Il s’agissait, en l’espèce, de Mme Alibert, vieille personne colportant à domicile, dans un ample panier d’osier, des pièces de viande qu’elle se procurait aux Halles, et revendait avec minuscule bénéfice, pratique appréciée des mères de famille nombreuse, d’autant que ses bidoches étaient de qualité, et que l’on pouvait lui passer commande du morceau désiré la veille pour le lendemain. Outre l’économie, ce petit négoce avait encore l’avantage d’éviter toute discussion avec le louchébem, toujours enclin à refiler à l’acheteuse davantage que le poids souhaité, dans une qualité parfois contestable. Suprême commodité, Mme Alibert, confidente de toutes les inquiétudes de sa petite clientèle, disait bénévolement, contre l’octroi d’une tasse de café, l’avenir dans les cartes, parfois, lorsque la chose lui paraissait avoir plus de gravité, en interrogeant les esprits avec lesquels elle se prétendait en liaison, par le truchement de la table tournante.
    Ayant siroté son café pour se mettre en condition, la vieille dame jugeant, à l’angoisse de ma mère, devoir employer les grands moyens, se faisait apporter le guéridon, réclamait la fermeture des volets, afin d’obtenir la pénombre propice à la venue des esprits, et, nous ayant disposés autour de la table, les paumes plaquées sur le plateau, les auriculaires touchant ceux de nos deux voisines, la consultation avait lieu entre femmes, et seule mon innocence me permettait d’y participer, jetait le rituel :
    — Esprit es-tu là ?
    Le plus souvent, la vieille dame devait renouveler son appel, avant que la table daigne frémir, puis osciller. Certaines fois même, le guéridon s’obstinait dans une inertie boudeuse, amenée, Mme Alibert l’assurait, par la présence parmi l’assistance d’un incrédule. Certains jours, mieux disposée, la table devenait d’une prolixité admirable et, répondant aux questions par deux coups frappés sur le sol pour la négation, par trois pour l’affirmation, donnait sur les absents, leur santé et leur moral, les informations les plus apaisantes. Curieusement, l’esprit interrogé – celui de l’époux défunt de Mme Alibert – refusait catégoriquement de préciser les lieux où s’illustraient les grivetons de qui on lui réclamait des nouvelles ; tout comme s’il eût, par patriotisme, appliqué les consignes de discrétion de la poste aux armées.
    Ma mère, c’était visible, eût bien souhaité davantage de détails sur la vie que menait, où ? son aîné. Déjà, et pour un court moment, délivrée de son angoisse, il lui suffisait de savoir Louis au nombre des vivants, pour s’estimer chanceuse. Se raccrochant à toutes les espérances, la pauvre en venait parfois à faire état de la promesse d’Achille de faire affecter mon frangin à l’arrière. Hélas, les semaines succédaient aux semaines sans que rien ne parût devoir se produire du bénéfique projet. L’oncle avait dû, emporté par sa faconde, se targuer de relations qu’il ne cultivait pas aussi intimement qu’il le laissait entendre ; c’était, sans

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