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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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l’époque. Avec l’autorité du technicien, je réquisitionnais l’évier de la cuisine, réclamait qu’on me laissât seul, tout comme si j’avais redouté qu’on me dérobât un secret. Il ne s’agissait à la vérité que d’un grattage rigoureux suivi d’un bon rinçage du sac poreux et du zinc de la pile, puis de sa recharge en eau additionnée de sel ammoniaqué, presque une vaisselle ! J’en tirais d’assez beaux effets, alors que la batterie de piles à nouveau ranimée, les timbres grelottant piteusement avant mon intervention donnaient à nouveau une note argentine. Tout en gardant son sérieux devant mes simagrées, Octave n’appréciait pas moins mon numéro d’innocente mystification. Il m’en marqua, au soir d’un de mes succès, alors que la cliente me glissait un pourliche de quarante sous, pour prix de ma compétence, une vive satisfaction.
    — Je vois, me dit-il à mi-étage, dans l’escalier de service, que le métier rentre !…
    Formule ambiguë, m’engageant à poursuivre l’exploitation de l’ignorance de la clientèle, sans me marquer clairement de complaisance.
    Mon ensemble cotte-pantalon bleu m’allant bien au teint, selon ma mère ; la boîte à outils gaiement portée à l’épaule me conférant auprès de mes petits copains un prestige certain, j’aurais trouvé mon sort des plus supportables, sans l’abominable voiture à bras ! Fatalité pour l’apprenti de se retrouver attelé dans ses brancards à l’orée de toute journée de labeur. La camionnette automobile requérant à son volant un titulaire du permis de conduire se trouvait de ce fait rarissime chez les employeurs du bâtiment ; le cheval supposant une écurie pour son repos, un palefrenier pour le soigner et un cocher pour le conduire, devait paraître trop onéreux pour un service par trop discontinu, n’amortissant pas son avoine. Restait l’apprenti, homme-cheval, à tout moment disponible. Je devins celui-là, à l’occasion de nos chantiers les plus importants. Dès sept heures et demie, moment de l’attachement  [4] , en toute saison, Octave garnissait la voiture à bras qui m’était attribuée de bottes de fils, de câbles, de cartons d’appareillage, d’un assortiment de moulures, de tubes, sans oublier l’auge et le sac de plâtre destinés aux scellements. Puis, l’âme sereine, la cigarette au bec et le nez au vent, le bougre m’abandonnait, confiant dans mon zèle à acheminer, par l’itinéraire le plus court, mon chargement.
    Lui s’en allait, me devançant, avec quelques haltes à des zincs de troquets, marquées de dégustations de café arrosé de vieux rhum, la gourmandise d’Octave. Nul, s’il n’a été attelé à une voiture à bras, ne peut prétendre connaître le relief réel d’une ville, toujours masqué à la vue par les effets de perspective des constructions. Toute différente en est la connaissance dès qu’on en parcourt les voies, la double bretelle de la « bricole » tendue sur les épaules, les mains étreignant l’extrémité des brancards, le corps arqué en avant, à la recherche du bon équilibre avec le poids de la bagnole, afin d’en vaincre l’inertie que les roues de bois, cerclées de fer, tendent à aggraver. La plus faible pente, insignifiante pour le piéton flâneur, devient pour l’homme attelé une épreuve. Il en acquiert des réflexes de cheval de trait, bandant ses muscles pour l’effort sitôt que la ligne d’horizon glissant vers les hauteurs contraint à tendre le cou et lever le regard. Tout aussi éprouvante devient la descente, une fois atteint le sommet de la pente. Des biscottos sur les brancards, des talons raclant le sol, l’homme attelé doit freiner le poids mort qui dans ce sens le propulse. De mes débuts dans la traction humaine, je garde rancune à la rue de Courcelles, à l’avenue de Wagram et au faubourg Saint-Honoré dont le profil, par endroits, me cassa les pattes et les reins.
    *
    Si, d’aveu maternel, la cotte bleue m’allait bien au teint, elle ne recueillait pas l’adhésion des fillettes au rencart du métro Château-Rouge. En dépit des rigueurs que me marquait la cruelle Mado, j’avais risqué quelques tentatives de réinsertion dans la petite troupe un moment délaissée, mais que je retrouvais toujours pépiante des mêmes marivaudages puérils, semblablement figée dans l’amorce de gestes caressants, que la lumière trop crue faisait avorter dès qu’esquissés. J’étais

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