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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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enseignement s’était borné, plusieurs semaines durant, à tenter de me faire prononcer le « the », la langue pointée vers le palais, ce qui, selon lui, devait être la clé de toute jactance english. Devant mon inertie à répéter ce foutu « the », cet homme de bonne volonté avait rapidement renoncé, m’estimant incapable d’assimiler ce qu’il estimait être le rudiment.
    Ma position, je le subodorais, devenait très précaire dans les burlingues de Sir John Eaton. Pas piffé du directeur, nullement soutenu par M. Le Bret, mon introducteur me suspectant sans doute d’ingratitude, je n’avais vraiment pas beau schpile ! Comme bien l’on pense, je faisais atrocement gaffe à ne pas aggraver mon impopularité par des fautes dans le turbin, voire des conduites désinvoltes auprès du personnel féminin, distant à la mesure même de son potentiel attractif, quasiment affolant.
    — C’est pas du mouron pour ton serin ! m’avertissait Eugène, confident des émois que me causaient ces charmantes créatures. Des prétentieuses, selon lui.
    Assidu au labeur, respectueux des dames, je nourrissais l’illusion, sinon d’être apprécié, tout le moins toléré. Trompeuse quiétude. Je n’étais pas, j’allais m’en apercevoir, sorti de l’auberge !
    Le nombre des pièges que peut nous tendre le destin est infini, rigoureusement incalculable et imprévisible aux âmes innocentes, telle que l’était la mienne. Ce fut sur un napperon de dentelle du Puy qu’achoppa ma carrière dans l’exportation. Suivant un courant saisonnier, nous venions d’être submergés d’échantillons de dentelles, venus de toute part, au crochet, au fuseau, en métrages, en collets, en guimpes, à monter en entre-deux, toutes fanfreluches inusitées à La Chapelle. J’avais, fidèle à mes attributions, scrupuleusement retourné aux envoyeurs les échantillons rebutés par les acheteurs, camelotes jugées indignes de nos comptoirs d’outre-Atlantique.
    Et le pétard sanglant éclata. Un négociant en dentelles du Puy-de-Dôme réclamait véhémentement le paiement d’un napperon qui, selon lui, manquait à la collection qu’il nous avait, en confiance soulignait-il, fait parvenir. À la facture qu’il nous adressait, ce renaudeur joignait une diatribe pas piquée des vers. Ancien combattant, après avoir fait la critique de l’armée américaine, il concluait : « Sans être jamais allé en Amérique, j’en suis déjà revenu ! ».
    J’étais, et ne songeais nullement à le nier, le dernier à avoir eu entre les mains cette pièce de dentelle furtivole et, partant, celui par qui arrivait le scandale. Le plus mauvais rôle à assumer. Aussi sec, M. Le Bret qui m’avait jusqu’alors mollement soutenu, mais soutenu quand même, se mua en grand inquisiteur, allant jusqu’à suggérer que si par inadvertance , il insistait sur ce point, je m’étais cassé le poignet sur le napperon fantôme, le plus sage serait de le retrouver par hasard dans un tiroir de mon bureau, où il aurait glissé !… Mais, même cette perche grosse comme un mât de cocagne m’étant tendue, il m’était impossible de la saisir. Le foutu napperon, je ne l’avais, j’en étais assuré, nullement embarqué. Pour moi, une de nos ravissantes secrétaires, l’apercevant sur le bureau où je groupais mes échantillons, devait, au passage, l’avoir délicatement engourdi. Hypothèse qu’il m’était rigoureusement impossible de formuler. J’aurais semblé rejeter sur l’ensemble de ces filles – toutes élèves de l’École Pigier, référence suprême à l’époque – une suspicion calomnieuse, alors que, les propos de M. Le Bret m’en instruisaient, ma culpabilité se trouvait tenue pour certaine.
    En conséquence, je fus éjecté sans ménagement à une semaine de la découverte de ma pseudo-indignité ; M. Le Bret à qui j’avais réellement causé de bien gros emmerdements, se trouvant en outre chargé d’expliquer à mes auteurs la raison de mon éviction.
    D’autres, soumis à ce traitement, se fussent révoltés, en auraient nourri à l’égard du genre humain, de la société et de ses structures, une haine tenace, une heureuse pente de mon caractère m’en détourna : le sentiment obscur que tout être doit nécessairement subir un certain nombre de contrecarres immérités, et peut-être aussi une incapacité profonde à démêler le juste et l’injuste, point sur lequel tant d’hommes sont,

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