Consolation pour un pécheur
commença le jeune homme, assez perplexe. Je chevauchais sur la route de Montpellier avec trois compagnons. Ce dont je me souviens ensuite, c’est que je me trouvais dans un monastère ainsi vêtu. Mon bras était bandé, ainsi que mes côtes et ma jambe. Des semaines s’étaient écoulées depuis mon départ de Montpellier. Les frères m’ont trouvé nu près d’un ruisseau, ils m’ont ensuite emmené dans leur forteresse et se sont occupés de moi.”
« Je l’ai examiné avant d’assurer à ses parents que leur fils s’en tirerait, mais il avait été sérieusement blessé et avait besoin de soins et de repos. Votre Excellence désire-t-elle que je poursuive ?
— Vous racontez si bien, dit Berenguer en rouvrant les yeux, que je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez continuer, du moins pendant quelque temps.
— Comme vous le voudrez, Votre Excellence. Dès que j’eus fini d’examiner ce garçon, je dis à Gualter Gutiérrez qu’il avait toutes les raisons d’être reconnaissant envers les frères du monastère.
« “Je ne doute pas de leur charité”, me répondit Gutiérrez sans grand enthousiasme.
« “Votre fils a eu trois fractures, lui expliquai-je. Des hommes sont morts pour moins que ça. Il est heureux que l’un des membres de la communauté sache remettre les os en place.” J’insistai sur le fait qu’il avait été bien soigné et qu’il avait guéri, ajoutant qu’il serait comme neuf une fois qu’il aurait repris des forces.
« Tout ce qu’il a trouvé à répliquer, ce fut : “J’aurais préféré qu’ils nous envoient un message pour nous dire que notre fils était vivant. Sa mère a failli mourir de chagrin. S’ils n’y pensaient pas eux-mêmes, le garçon aurait pu insister.”
— Voilà qui n’est pas très généreux, fit remarquer Francesc. J’aurais pensé à davantage de gratitude de sa part.
— Attendez, Francesc, dit l’évêque. La gratitude viendra après.
— J’ai insisté sur le fait qu’ils ne savaient peut-être pas qui était le jeune maître Martí, reprit Isaac. Et que, par conséquent, ils ne pouvaient envoyer de message. Je pense que lui-même avait perdu la mémoire. De plus, ces moines vivent à l’écart du monde. Le voyage depuis la montagne est long et périlleux.
« Gualter finit par reconnaître que j’avais raison. “Je m’obstine à penser qu’ils auraient pu essayer, dit-il, mais je veillerai à ce qu’ils soient convenablement récompensés.”
« “Qu’entendez-vous par convenablement ?” lui demanda sa femme.
« “Je vais réfléchir à quelque présent qui soit à la hauteur de la joie que nous éprouvons de revoir notre fils.”
— C’est là le point essentiel de notre affaire, déclara Berenguer. Ayant noté cela, je reprendrai le fil du récit. Merci, maître Isaac.
— Revenons à vendredi dernier, dit Berenguer après avoir repris un peu de tisane apaisante. Vers la fin du mois de mai. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que ce mai avait tout d’un mois d’août, avec ses vents chauds et son soleil brûlant qui faisaient suffoquer la ville au point qu’elle priait pour qu’un peu de fraîcheur nous vienne de la montagne.
« Vers la fin d’une journée au cours de laquelle il avait rendu visite à un flot incessant de patients en bonne santé mais voulant tous savoir la même chose – à propos de son récent voyage à Tarragone 1 , de l’évêque et de ses problèmes ou encore des rumeurs de guerre contre les Sardes –, Isaac se trouvait dans le cabinet de maître Gualter Gutiérrez et discutait des affaires locales après avoir apaisé le sentiment de gêne de l’épouse de ce dernier, qui éprouvait quelque mal mineur.
— Une douleur dans la gorge, précisa Isaac.
— C’est cela. Le médecin a mentionné certaines informations qu’il avait entendues à plusieurs reprises au cours de la journée, sans savoir que c’était censé être un grand secret.
— Puis-je poursuivre ? demanda Isaac.
— Tout à fait, puisqu’il s’agit de la conversation que vous avez eue avec lui.
— Je lui ai donc dit avoir appris qu’il comptait se lancer dans une affaire d’importance. “Maître Gualter, votre médecin vous suggère d’attendre la fraîcheur de l’automne avant d’entreprendre une chose qui exigera beaucoup d’effort et un certain manque de sommeil.”
« “Une affaire d’importance ? répliqua Gualter. Mais qui a parlé de
Weitere Kostenlose Bücher