Consolation pour un pécheur

cela ?”
    « “Je l’ai entendu dire au moins trois ou quatre fois, expliquai-je sans toutefois donner de nom. N’est-ce pas vrai ?”
    « “C’est absolument faux. Il faudrait être fou pour se lancer ainsi par cette chaleur – on n’est même pas en juillet. Je me demande comment a pu naître une telle rumeur.”
    « “Ce n’est pas difficile à comprendre. Vous avez réclamé les sommes d’argent qui vous étaient dues. Des sommes considérables. Par conséquent, vous voulez – selon vos voisins, bien entendu – vous lancer dans une entreprise onéreuse, une chose d’envergure.”
    « “Ne puis-je donc récupérer mon argent sans faire naître des spéculations aussi ridicules ?” grommela maître Gualter.
    « Je ris. “Ce serait beaucoup demander à vos voisins. Trop, même.”
    « “En fait, maître Isaac, je pensais vous parler de cette affaire. Dans une certaine mesure, vous y tenez un rôle.”
    « “Moi ? Dans votre entreprise financière ?”
    « “Non, non, il ne s’agit pas de négoce. Je me demandais depuis quelque temps ce que je pourrais offrir au monastère du Saint-Sépulcre de Palera. Une circonstance étrange, heureuse à mon gré, a fait que l’offrande parfaite s’est présentée à moi.”
    « “Et de quoi s’agit-il ?”
    « “Pas un mot de ceci ne doit franchir vos lèvres, maître Isaac, me prévint maître Gualter. Je vous tiens pour un homme discret en qui j’ai confiance et qui ne racontera rien à mes voisins. J’ai eu la chance étonnante de rencontrer un homme qui détient un objet si sacré – si extraordinaire – que j’ai moi-même du mal à croire que cela soit vrai.”
    « “Et quel est cet objet ?”
    « Il se pencha vers moi au point que je sentais son souffle dans mon oreille. “C’est le Saint-Graal, chuchota-t-il. La coupe dans laquelle le Christ a bu lors de la Cène. Aucun objet matériel ne pourrait être plus sacré.”
    « “Et il veut vous le vendre ?”
    « “Oui. Il a entendu dire que je suis un honnête homme en qui on peut avoir confiance.”
    « “Garderez-vous un tel objet dans votre propre maison ?”
    « “Pas un seul instant. Je l’offrirai.”
    « “À la cathédrale, je suppose. Cela me paraît logique.”
    « “Oh non ! Après tous les problèmes que j’ai endurés pendant que l’évêque était absent, sans compter le retard qu’ont pris mes affaires depuis son retour… Pourquoi donnerais-je quoi que ce soit à la cathédrale ? Non. Le saint calice ira au monastère du Saint-Sépulcre, où mon fils a été soigné. Il est en parfaite santé à présent, et vous avez vous-même dit que je leur devais beaucoup.”
    « “C’est vrai”, reconnus-je avant de lui demander s’il était sûr de cet homme.
    « “Même si je ne l’étais pas, me répondit Gualter, il possède des documents qui prouvent de manière irréfutable qu’il s’agit du Graal.”
    « “Bien entendu, dis-je, il possède des documents.”
     
    L’évêque reprit la parole.
    — Sur ce commentaire, le bon maître Isaac a quitté la demeure de maître Gualter et s’est rendu ici. Ce devait être sa dernière visite de la journée, me semble-t-il, effectuée dans un but bien plus noble que mes ridicules petits problèmes de santé. Nous devions disputer une partie d’échecs.
    — L’avez-vous fait ? s’enquit Bernat.
    — Oui. Enfin. Mais en premier lieu, il m’a parlé de sa visite à maître Gualter. Il m’a relaté tout ce que le bon marchand lui a dit, y compris ses quelques commentaires flatteurs à propos de mes chanoines et de moi-même.
    — Et aussi que maître Gualter détenait le Saint-Graal ? demanda Bernat.
    — Non, répondit Isaac. J’ai dit à Son Excellence que maître Gualter affirmait qu’il aurait le Graal. Il ne l’avait pas encore. « Un homme » le lui avait proposé. J’ai bien tenté de savoir de qui il s’agissait, mais il s’est montré très énigmatique.
    — Cela ne me surprend pas, remarqua Berenguer. C’est un sujet plutôt épineux.
    — On sait que le Graal a été apporté à San Juan de la Peña pour le protéger des Maures durant les invasions, expliqua Bernat. Si quelqu’un l’a volé… commença-t-il avant de secouer la tête. Cela m’étonnerait beaucoup. Il est gardé de près, dit-on.
    — Les moines de San Juan ne sont pas les seules personnes à affirmer détenir le Graal, fit remarquer Francesc. La plupart clament, bien entendu, que