Consolation pour un pécheur
poitrine.
— Une douce musique, disiez-vous, Isaac. Et des voix agréables pour me faire la lecture. Voilà qui me semble bien improbable. Un meurtre sanguinaire sur le pas de ma porte, c’est là ce que le Destin me réserve. Et une autre catastrophe pour le diocèse.
— En quoi la mort d’un seul homme, fût-il aussi riche et respecté que maître Gualter, peut-elle causer un désastre pour le diocèse ? demanda Bernat. Si son entrepôt doit fermer, ceux qui lui achetaient du cuir pour exercer leurs activités en subiront les conséquences, mais d’autres marchands pourront certainement répondre à leurs besoins.
— Oh, Bernat, dit l’évêque en laissant retomber sa tête sur les oreillers que le serviteur venait d’installer, maître Gualter se trouvait, semble-t-il, au cœur d’un problème très différent et susceptible de nous créer bien des difficultés.
— Vous ne m’en avez jamais parlé, lui reprocha le secrétaire.
— Ni à moi, fit Francesc. Il vaudrait peut-être mieux que Votre Excellence nous mette au courant.
— Son Excellence est trop fatiguée, intervint Isaac.
— C’est possible, mais je ne puis dormir à présent. Je suis trop agité. Et si nous en parlons à Francesc et à Bernat, maître Isaac, ils pourront régler le problème de maître Gualter aussi bien que je l’aurais fait, peut-être même mieux, tandis que j’écoute des mélodies apaisantes jouées à la flûte ou au rebec. De plus, je n’ai nul besoin de tout raconter. Maître Isaac est au courant d’une partie de ce conte, ajouta-t-il à l’adresse de ses deux chanoines.
— Je porterai de mon mieux le fardeau de cette histoire, dit le médecin.
CHAPITRE III
Avant d’entamer son récit, l’évêque prit le temps de boire la tisane chaude qu’on lui avait apportée depuis les cuisines du palais, puis il se tourna vers son médecin.
— La première partie de cette histoire appartient à maître Isaac. Je lui permettrai de nous la narrer.
— Certainement, Votre Excellence, dit Isaac, mais vous devez me faire savoir à quel moment je dois commencer.
— Nous démarrerons au moment où vous avez été appelé en grande hâte dans la maison de Gualter Gutiérrez.
— Vous parlez du jour où l’on m’a mandé parce qu’un membre de la maisonnée était à l’article de la mort ?
— C’est cela même, répondit Berenguer en fermant les yeux.
— Très bien, Votre Excellence. Maître Gutiérrez vivait, comme vous le savez, dans une demeure agréable située juste derrière le mur sud du Call. Ma fille et moi-même – ainsi que mon apprenti, Yusuf – sommes partis en hâte. Nous étions préparés au pire. Nous pensions qu’il s’agissait de la femme de Gualter, dont la santé défaille depuis l’été dernier : elle pouvait en effet à peine manger ou dormir depuis la disparition de son fils.
« Quand nous sommes arrivés près du portail, il régnait un tumulte considérable à l’intérieur de la maison, et il a fallu quelque temps pour que l’on répondît à nos appels répétés. Raquel a essayé de regarder à travers la grille, mais elle n’a aperçu qu’un couloir sombre menant à une cour vide.
« Je dois ajouter que nous étions tous deux très ennuyés par ce retard.
« Nous allions repartir quand une voix chaleureuse m’interpella. “Maître Isaac, vous avez toute ma gratitude pour être venu si vite.” Maître Gualter apparut dans le couloir. “C’est Martí, mon fils. Il est revenu.”
« Après lui avoir exprimé ma satisfaction, je demandai si le jeune maître était très malade. Maître Gualter nous expliqua alors que son fils était grièvement blessé et qu’il n’avait recouvré assez de forces pour voyager que quelques jours auparavant.
« Une forte odeur de fumier envahissait la chambre où l’on avait placé Martí Gutiérrez. Le jeune homme me révéla qu’il venait d’arriver en ville dans une charrette de paysan, le seul moyen de transport que possédât le monastère du Saint-Sépulcre de Palera.
« On me dit qu’il était maigre et avait l’air fatigué, mais que ses lèvres étaient colorées et ses yeux vifs. Un gros bandage entourait son bras gauche et il portait une robe de moine qui dissimulait le reste de son corps.
« Je lui ai demandé ce qui s’était passé, et je vais vous transmettre sa réponse, de mon mieux et dans ses propres termes.
« “C’est étrange à dire, mais je n’en sais rien,
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