Consolation pour un pécheur
s’interposer entre lui et son déjeuner. Ou son sommeil.
— Je crois que c’est parce qu’il aime traîner en salle de garde, reprit Raquel. Les hommes y racontent des histoires très crues pour passer le temps.
— C’est très généreux de la part de Son Excellence d’accueillir cette bête dans ses écuries et de faire donner des leçons à Yusuf, dit Isaac d’un ton réprobateur.
— S’il agit ainsi, c’est uniquement parce que Sa Majesté s’est entichée de ce garçon, lâcha Judith.
— Son Excellence l’apprécie beaucoup, la corrigea Isaac. Bien, qu’avons-nous ce matin ?
Tandis que sa femme remplissait son assiette de pain frais, de fruits, d’une variété de fromages et d’une part de flan frais aux herbes, Isaac et sa fille se lancèrent dans une discussion animée à propos de la santé de l’évêque.
— Ne pensez-vous pas qu’il souffre plus de soucis et de fatigue que d’une congestion des poumons, papa ? Du repos, voilà certainement ce qu’il lui faut.
— La cause initiale est peut-être bien le tracas et la fatigue, ma chérie. Il est tout à fait exact qu’il a besoin de repos, mais la congestion existe bel et bien. Tu ne dois jamais oublier que l’effet est aussi réel que la cause sous-jacente et qu’il doit être traité en premier dans la plupart des cas. Assurément, cela n’a rien arrangé qu’il apprenne la mort de maître Gualter Gutiérrez peu de temps après avoir souffert d’essoufflement.
— Maître Gualter est mort ? s’écria sa femme.
— Mais de quoi est-il mort ? demanda sa fille au même instant.
Isaac soupira. De cette petite leçon soigneusement élaborée, ses auditeurs n’avaient retenu que la nouvelle de la mort de maître Gualter : il était désormais condamné à passer le reste du déjeuner à tout leur raconter.
Des coups formidables frappés à la porte et le tintement de la cloche les interrompirent à nouveau.
— Ce doit être quelqu’un de la maison de maître Gualter, dit Raquel. Personne d’autre ne s’attaque ainsi à notre porte.
Cette fois-ci, c’était pour la femme de maître Gualter qu’il lui fallait venir de toute urgence.
— Ma maîtresse est tellement accablée de chagrin, expliqua le garçon qui portait le message, qu’elle n’a cessé de crier et de pleurer, et maintenant elle ne peut plus reprendre son souffle. Maître Martí est rongé d’inquiétude.
— Nous arrivons immédiatement, fit Isaac.
En un instant, le panier au bras et la tête voilée, Raquel franchit le portail, suivie de près par son père.
Isaac mit quelque temps à calmer la crise d’hystérie qui prenait maîtresse Sibilla à la gorge et à la poitrine.
— Maîtresse, lui dit-il quand ses sanglots eurent cessé et qu’elle éprouva moins de difficulté à respirer, je ne puis espérer vous ôter votre chagrin, mais souvenez-vous que vous étiez malade avant que ce terrible événement ne survienne. Si vous vous abandonnez trop facilement à la douleur, vous ne tarderez pas à rejoindre votre mari et laisserez votre malheureux fils pleurer ses deux parents. Il est de votre devoir de vous reprendre : faites-le pour lui sinon pour vous.
— À quoi me sert de vivre à présent, maître Isaac ?
— La vie vous réserve encore beaucoup de choses, maîtresse Sibilla. Vous ne pouvez les entrevoir aujourd’hui, mais…
— Vous ne savez pas ce que vous dites, maître Isaac, fit-elle en s’accrochant à son bras. Je suis ruinée. Mon fils et moi, nous sommes détruits. Je vous en prie… Il paraît que vous étiez présent quand on a découvert son corps : est-il vrai que l’on n’a pas trouvé d’argent sur lui ?
— Ni mon apprenti ni les gardes n’ont rien vu qui puisse contenir de l’argent.
— Il n’en avait pas dissimulé ?
— On avait coupé les cordons de sa bourse, m’a-t-on raconté.
— Il n’y avait pas non plus quelque objet en argent de grande valeur ?
— Un objet en argent de grande valeur ? répéta Isaac en secouant la tête. Je n’ai rien entendu à ce propos.
Les lèvres de maîtresse Sibilla laissèrent échapper un faible gémissement.
— Mon mari était un homme bon et aimable, maître Isaac, même s’il cédait parfois à la colère et avait un tempérament un peu versatile. Nous avons tous nos défauts. Mais pis encore que son mauvais caractère occasionnel, c’était le plus grand fou de cette ville. D’après ce que je sais, la nuit
Weitere Kostenlose Bücher