Conspirata
l’idée de devenir consul et, à sa demande,
on fit en sorte que la date de son entrée triomphale dans la cité coïncidât
avec son quarante-cinquième anniversaire, à la fin du mois de septembre. L’ampleur
de sa victoire était cependant telle que la parade – qui s’étirerait,
estimait-on, sur au moins une vingtaine de milles – devrait durer
deux journées pleines. Ce fut donc en fait à la veille de l’anniversaire de l’ imperator que Cicéron et l’ensemble du sénat se rendirent sur le Champ de Mars pour
accueillir officiellement le conquérant. Pompée s’était non seulement peint le
visage en rouge pour l’occasion, mais il avait aussi revêtu une fabuleuse
armure dorée et portait une somptueuse casaque qui avait appartenu à Alexandre
le Grand. Massés autour de lui, des milliers de vétérans gardaient des
centaines de chariots chargés de butin.
Jusque-là, Cicéron n’avait pas réellement saisi toute l’importance
des richesses de Pompée. Comme il me le fit remarquer lui-même :
— Un million, dix millions, cent millions… qu’est-ce
que c’est ? Rien que des mots. L’imagination ne peut pas en concevoir le
sens.
Toutefois Pompée avait rassemblé ces richesses en un seul
lieu et avait, ce faisant, montré l’étendue de son pouvoir. Ainsi, à Rome, un
homme qualifié pouvait à cette époque travailler toute une journée et s’estimer
heureux s’il avait fini par gagner une seule drachme d’argent. Pompée avait, ce
matin-là, disposé des coffres ouverts sur un contenu rutilant censé atteindre soixante-quinze
millions de drachmes d’argent : plus que le revenu annuel des impôts
prélevés dans l’ensemble du monde romain. Et ce n’étaient là que les pièces.
Dominant la parade et exigeant un attelage de quatre bœufs pour la tirer, il y
avait une solide statue de Mithridate en or de huit coudées de haut. Puis, le
trône de Mithridate et son sceptre, en or aussi. Trente-trois couronnes de
perles et trois statues en or figurant Apollon, Minerve et Mars. Et encore une
montagne d’or en forme de pyramide, avec des cerfs, des lions et des fruits de
tous genres, entourée d’une vigne d’or. Suivie d’un échiquier à jouer constitué
de deux pierres précieuses, l’une verte et l’autre bleue, long de quatre pieds
et large de trois et portant une lune d’or d’un poids de trente livres. Et un
cadran solaire en perles. Il fallut encore cinq autres chariots pour porter les
livres les plus précieux de la bibliothèque royale. Cicéron en fut profondément
impressionné, car il savait bien que de telles richesses ne pourraient qu’avoir
des répercussions imprévisibles sur Rome et sa politique. Il prit grand plaisir
à aller voir Crassus pour le tourmenter.
— Alors, Crassus, tu as porté le titre d’homme le plus
riche de Rome. Mais j’ai bien peur que ce ne soit terminé. Après cela, même
toi, tu devras t’adresser à Pompée pour demander un prêt !
Crassus eut un sourire crispé : on voyait bien que le
spectacle passait mal.
Pompée envoya toutes ces richesses défiler dans la ville le
premier jour, mais lui-même resta hors les murs. Au deuxième jour, pour son
anniversaire, la parade triomphale proprement dite commença avec les
prisonniers qu’il avait ramenés d’Orient : d’abord les chefs militaires,
puis les dignitaires de la maison de Mithridate, puis les chefs des pirates
capturés, et le roi des Juifs suivi par le roi d’Arménie, sa femme et son fils,
et enfin, comme clou de cette partie de la procession, sept des enfants de
Mithridate et l’une de ses sœurs. Les milliers de spectateurs du forum Boarium
et du circus Maximus les huèrent et leur jetèrent des poignées de terre et de
fumier, de sorte que lorsqu’ils arrivèrent enfin en titubant dans la via Sacra
pour gagner le carcer , ils évoquaient des figures d’argile auxquelles on
aurait donné vie. On les fit alors attendre sous le regard du carnifex et de
ses assistants, tremblants à l’idée du destin qui serait le leur, pendant que
les clameurs lointaines en provenance de la porte Triomphale annonçaient que
leur vainqueur était enfin entré dans la cité.
Cicéron attendait lui aussi, avec les autres sénateurs,
juste devant la curie. Je me trouvais de l’autre côté du forum et, avec la
parade qui défilait entre nous, je ne cessais de le perdre de vue au milieu de
ce torrent de gloire. Il y avait des chars portant des scènes
Weitere Kostenlose Bücher