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Conspirata

Conspirata

Titel: Conspirata Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Harris
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bloquaient
délibérément le passage et devaient être repoussés par les gardes. Nous eûmes
beaucoup de mal à avancer et, le temps que nous trouvions un endroit qui
donnait sur les marches du temple, César avait commencé à parler. Il nous fut
impossible de saisir plus de quelques mots. Une véritable multitude, des
milliers de personnes, nous séparaient de lui. La majorité semblait être d’anciens
soldats qui avaient passé la nuit là et avaient allumé du feu pour se faire à
manger et se tenir chaud.
    — Ces hommes n’assistent pas à cette assemblée,
commenta Cicéron, ils l’occupent.
    Au bout d’un moment, nous commençâmes à entendre du
mouvement en provenance de la via Sacra, de l’autre côté de l’endroit où nous
nous tenions dans la foule, et le bruit courut bientôt que Bibulus venait d’arriver
avec les trois tribuns qui avaient l’intention de s’opposer au vote. C’était
une action d’une bravoure formidable de leur part. Partout autour de nous, des
hommes tiraient des poignards, voire des glaives de sous leurs vêtements.
Bibulus et ses partisans avaient de toute évidence des difficultés à atteindre
les marches du temple. Nous ne pouvions pas les voir mais suivions leur
progression en repérant l’origine des cris et les rangées de poings qui volaient
en tous sens. Les tribuns furent bientôt assommés et évacués, mais Bibulus et,
derrière lui, Caton – qui avait été libéré de prison –, finirent
enfin par arriver à destination.
    Écartant les mains qui tentaient de le retenir, il monta sur
l’estrade. Sa toge, déchirée, lui découvrait les épaules et il avait du sang
qui lui coulait sur le visage. César lui jeta un bref coup d’œil et continua de
parler. La fureur de la foule était assourdissante. Bibulus désigna les cieux
puis fit le geste de se trancher la gorge. Il répéta son manège plusieurs fois,
jusqu’à ce que son message fût clair : au titre de consul, il avait
observé les cieux et déclarait que les auspices étant défavorables, aucune
affaire publique ne pouvait être traitée. César continua cependant de l’ignorer.
Deux personnages massifs montèrent alors sur l’estrade avec un grand baquet, de
ceux qu’on utilise pour collecter l’eau de pluie. Ils le soulevèrent alors
au-dessus de sa tête et le renversèrent. Je suppose que la foule avait dû s’en
servir toute la nuit pour se soulager car le récipient était rempli d’une fange
brunâtre et nauséabonde, et Bibulus en fut complètement trempé. Il voulut
reculer, dérapa et, ses jambes glissant sous lui, tomba lourdement sur son
postérieur. Pendant un moment, il demeura trop étourdi pour bouger. Mais il vit
alors qu’on apportait un autre baquet sur l’estrade et détala – je ne
peux pas le lui reprocher – sous les rires moqueurs de milliers de
citoyens. Ses partisans et lui fuirent le forum et trouvèrent refuge dans le
temple de Jupiter Stator – celui-là même d’où Cicéron avait chassé
Catilina par ses paroles virulentes.
    Ce fut donc dans les circonstances les plus méprisables que
fut promulguée la grande loi de réforme agraire proposée par César, qui
attribuait des fermes aux vingt mille soldats de Pompée et, par la suite, à
tous les citadins nécessiteux qui pouvaient prouver qu’ils étaient pères d’au
moins trois enfants. Cicéron ne resta pas pour le vote, qui était joué d’avance,
mais rentra furtivement chez lui et se sentit tellement déprimé qu’il évita
toute compagnie, y compris celle de Terentia.
    Le lendemain, les soldats de Pompée occupaient à nouveau la
rue. Ils avaient passé la nuit à fêter l’événement et concentraient maintenant
toute leur attention sur le sénat, se rassemblant au forum pour voir si la
curie allait oser remettre en cause la légalité des opérations de la veille.
Ils laissaient entre leurs rangs un passage étroit, juste assez large pour
permettre à trois ou quatre hommes de marcher de front, et je trouvai très
intimidant de circuler aussi près d’eux au côté de Cicéron, même si leurs
apostrophes étaient plutôt amicales : « Vas-y, Cicéron ! »,
« Cicéron, ne nous oublie pas ! » Dans la curie, je n’avais
jamais vu une assemblée aussi abattue. C’était le premier jour du mois, et
Bibulus, qui avait un bandage autour de la tête, occupait la chaise curule. Il
se leva aussitôt et demanda que la chambre condamne les violences honteuses de
la veille.

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