Conspirata
tribun – en
sachant que son intention déclarée est de me faire passer en procès dès qu’il
aura été élu ?
— Je ne voulais pas aller jusque-là, mais César était
décidé. Tu es sûr de ne pas vouloir te laisser tenter par du vin ?
— Pendant des années, déclara Cicéron avec un calme
terrible, je t’ai soutenu dans tous tes désirs. Je ne t’ai rien demandé en
échange sinon ton amitié, qui a compté plus que tout pour moi dans ma vie
publique. Et maintenant, tu as enfin montré tes véritables sentiments à mon
égard au monde entier – en aidant mon pire ennemi à obtenir l’arme
dont il avait besoin pour me détruire !
La lèvre de Pompée trembla, et ses yeux couleur d’huître s’emplirent
de larmes.
— Cicéron, je suis horrifié. Comment peux-tu dire une
chose pareille ? Je ne te regarderai jamais détruire sans rien faire. Ma
position n’est pas facile, tu sais – essayer d’exercer une influence
apaisante sur César est un sacrifice que je fais pour la république chaque jour
de ma vie !
— Mais pas aujourd’hui, visiblement.
— Il a eu le sentiment que ce que tu disais menaçait sa
dignité et son autorité.
— Ça ne les menaçait pas moitié moins que ce qui se
passera si je dis tout ce que je sais sur cette Bête à Trois Têtes et les
arrangements qu’elle a pu avoir avec Catilina !
— Je ne crois pas que tu devrais parler à Pompée le
Grand sur ce ton, intervint Gabinius.
— Non, non Aulus, dit tristement Pompée, ce que Cicéron
a dit est parfaitement exact. César est allé trop loin. Les dieux seuls savent
que j’ai essayé de faire tout ce que je pouvais pour modérer ses actions en
coulisses. Quand Caton a été jeté en prison, je l’ai fait relâcher sans
attendre. Et ce pauvre Bibulus aurait connu un sort bien plus terrible que de
recevoir un baquet de merde sur la tête si je n’avais pas été là. Mais aujourd’hui,
j’ai échoué. C’était forcé que ça arrive. Je regrette, mais César est tellement… impitoyable .
Il poussa un soupir et prit le modèle réduit de temple sur
sa maquette de théâtre pour le contempler pensivement.
— Peut-être le moment est-il venu de rompre avec lui,
dit-il en adressant à Cicéron un regard rusé (je remarquai que ses yeux n’avaient
pas mis longtemps à sécher). Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je pense que ce ne sera jamais trop tôt.
— Tu as peut-être raison.
Pompée prit le temple entre son gros pouce et son index et
le replaça avec une délicatesse surprenante sur son ancienne position.
— Tu sais quel est son nouveau plan ?
— Non.
— Il veut qu’on lui attribue un commandement militaire.
— Évidemment ! Mais le sénat a déjà décrété qu’il
n’y aurait pas de provinces pour les consuls cette année.
— C’est ce que le sénat a décidé, oui. Mais César se
fiche du sénat. Il va faire en sorte que Vatinius propose une loi à l’assemblée
populaire.
— Quoi ?
— Une loi qui lui accorderait non pas une, mais deux
provinces – la Gaule cisalpine et la Bithynie –, avec l’autorisation
de lever une armée de deux légions. Et ce ne serait pas non plus un mandat d’un
an, mais de cinq ans.
— Par tous les dieux ! s’exclama Cicéron, frappé d’horreur.
L’attribution des provinces a toujours été décidée par le sénat et non par le
peuple. Et cinq ans ? Il doit savoir que c’est le meilleur moyen de
mettre notre constitution en pièces.
— Il prétend que non. Il cite le précédent de la loi qu’Aulus,
ici présent, a fait passer en ma faveur et qui m’accordait un commandement
exceptionnel pour me charger des pirates.
— Oui, mais un commandement exceptionnel est, par
définition, exceptionnel. Alors que retirer au sénat le pouvoir séculaire d’attribuer
les provinces pour le donner à l’assemblée populaire, et la laisser en fixer
les termes par-dessus le marché… eh bien, ce n’est ni plus ni moins que le
commencement de la fin de notre système gouvernemental. Tout son équilibre va
être rompu.
— Comme César me le répète : « Et pourquoi ne
ferait-on pas confiance au peuple ? »
— Mais ce ne sera pas le peuple ! C’est une clique
contrôlée par Vatinius.
— Eh bien, dit Pompée, tu commences peut-être à
comprendre pourquoi j’ai accepté d’étudier le ciel pour lui cet après-midi. J’aurais
pu refuser, bien sûr. Mais je dois garder à l’esprit une vision
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