Conspirata
décor. Cicéron avait fait l’acquisition d’une nouvelle
propriété à Antium, sur la côte, à une journée et demie de Rome, et c’est là
que se rendit toute la famille pour commencer les vacances de printemps. En
chemin, nous passâmes tout près de Solonium, où les Claudii avaient depuis
longtemps une grande propriété de campagne. Derrière ses hauts murs ocre,
Clodius et Clodia participaient, disait-on, à une grande réunion familiale avec
leurs deux autres frères et deux sœurs.
— Six en tout, commenta Cicéron tandis que nous
passions devant en voiture, comme une portée de chiots – la nichée de
l’enfer ! Imagine-les là-dedans, en train de s’envoyer en l’air les uns
avec les autres tout en manigançant ma destruction.
Je ne le contredis pas, même s’il était difficile d’imaginer
les deux frères aînés, plutôt austères, impliqués dans ce genre de
polissonneries.
Lorsque nous arrivâmes à Antium, le temps était inclément,
avec des bourrasques de pluie en provenance de la mer.
Cicéron s’installa sur la terrasse, malgré la tempête, et
contempla les vagues déchaînées contre l’horizon plombé pour essayer de trouver
une issue à sa situation. Enfin, après deux jours de ce traitement, la tête beaucoup
plus claire, il se retira dans sa bibliothèque.
— Quelles sont les seules armes que je possède, Tiron ?
me demanda-t-il avant de répondre lui-même à sa question. Ça, dit-il en
désignant ses livres. Les mots. César et Pompée ont leurs soldats, Crassus a sa
fortune, Clodius ses gros bras dans la rue. Mes seules légions sont les mots. C’est
par le langage que je me suis hissé dans la hiérarchie, et c’est grâce au
langage que je survivrai.
Nous commençâmes donc à travailler sur ce qu’il intitula Histoire
secrète de mon consulat – la quatrième et dernière version de son
autobiographie, de loin la plus conforme à la réalité, dont il entendait se
servir pour sa défense si jamais il devait passer en procès, et qui ne fut
jamais publiée, mais sur laquelle je me suis appuyé pour rédiger ces mémoires.
Il y consigna tous les faits concertant la relation entre César et Catilina, la
façon dont Crassus avait défendu Catilina et l’avait soutenu financièrement
avant de le trahir, et comment Pompée s’était servi de ses lieutenants pour
tenter de prolonger et aggraver la crise afin de pouvoir prendre ce prétexte
pour rentrer à Rome avec son armée. Il nous fallut deux semaines pour compiler
l’ensemble, et j’en faisais en même temps une copie. Lorsque nous eûmes
terminé, j’enveloppai chaque rouleau de l’original dans du lin puis dans de la
toile enduite avant de glisser le tout dans une amphore que nous scellâmes à la
cire. Puis, un matin, Cicéron et moi nous levâmes de bonne heure alors que le
reste de la maisonnée dormait encore, et nous rendîmes dans le bois voisin pour
l’enterrer entre un charme et un frêne.
— S’il m’arrive quoi que ce soit, me recommanda
Cicéron, déterre-la et donne-la à Terentia en lui disant d’en faire ce qu’elle
estimera le plus approprié.
Pour autant que je pouvais m’en rendre compte, il ne lui
restait qu’un seul espoir de pouvoir éviter de passer en jugement : que la
désillusion de Pompée concernant César finisse par le pousser à la rupture.
Etant donné leurs caractères respectifs, cela ne paraissait pas une attente
insensée, et Cicéron était à l’affût de la moindre nouvelle encourageante.
Toutes les lettres de Rome étaient ouvertes avec empressement. Toutes les
connaissances qui passaient par là en descendant vers la baie de Naples
subissaient un véritable interrogatoire. Certaines informations paraissaient
encourageantes. Pour faire un geste envers Cicéron, Pompée avait demandé à
Clodius d’entreprendre une mission en Arménie au lieu de postuler au tribunat.
Mais Clodius avait refusé. Pompée l’avait mal pris et s’était brouillé avec
Clodius. César s’était rangé au côté de Pompée. Clodius s’était disputé avec
César au point de le menacer, lorsqu’il serait tribun, d’abroger les lois du
triumvirat. César s’était emporté contre Clodius. Pompée avait reproché à César
de leur avoir collé ce plébéien-patricien ingouvernable sur les bras. Certains
chuchotaient même que les deux grands hommes ne se parlaient plus. Cicéron
était enchanté.
— Souviens-toi, Tiron : tous les régimes, aussi
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