Conspirata
attendait. Il nous conduisit aux appartements privés
du sénateur. Je n’oublierai jamais ces couloirs sombres faiblement éclairés par
des bougies et l’odeur écœurante de l’encens qu’on faisait brûler pour masquer
la puanteur plus puissante encore du vomi et de la corruption du corps. On
avait fait appel à tant de médecins qu’ils encombraient l’accès à la chambre de
Celer. Ils parlaient à voix basse en grec et nous dûmes les écarter pour nous
frayer un passage. Il faisait une chaleur étouffante dans la chambre, et si
sombre que Cicéron dut prendre une lampe et la porter près du lit où gisait le
sénateur. Celer était nu à l’exception des pansements qui indiquaient où l’on
avait pratiqué les saignées. Il avait des dizaines de sangsues collées à ses
bras et sur la face interne de ses jambes. Il avait une écume noire aux lèvres,
et j’appris par la suite qu’on n’avait rien trouvé de mieux pour le soigner que
de lui faire avaler du charbon. La force de ses convulsions était telle qu’il
avait fallu l’attacher à son lit.
Cicéron s’agenouilla près de lui.
— Celer, mon cher ami, dit-il avec une grande tendresse
dans la voix, qui t’a fait cela ?
Bien plus tard, Cicéron donnera une description de cette
scène déplorable où il ne ménagera pas les effets lyriques : « J’ai
vu Quintus Metellus sur son lit de mort, alors que deux jours seulement
auparavant, il s’était montré avec gloire dans le sénat et sur la tribune ;
il était dans la force de l’âge ; il jouissait du tempérament le plus
robuste, de la santé la plus brillante. Lorsque son âme affaissée semblait
anéantie pour tout le reste, il réserva son dernier sentiment pour la
république. Je pleurais à côté de lui ; il leva sur moi ses yeux
appesantis, et sa voix défaillante m’annonça les orages et les tempêtes dont
Rome et moi-même étions menacés… » Mais j’ai bien peur que ce ne soit là
que pure fiction. En réalité, lorsqu’il entendit la voix de Cicéron, Celer
tourna la tête vers lui et essaya de parler, mais ne sortirent de ses lèvres qu’un
gargouillis inintelligible et une écume noirâtre. Il succomba juste après. Ses
yeux se fermèrent pour, selon toutes les sources, ne plus jamais se rouvrir.
Cicéron s’attarda encore un peu et interrogea les médecins.
Ils se contredisaient en tout, comme souvent les gens de médecine, mais sur un
point cependant se montrèrent unanimes : aucun d’entre eux n’avait jamais
vu un corps sain succomber aussi vite à une maladie.
— Une maladie ? demanda Cicéron, incrédule. Il a
sans doute été empoisonné, non ?
— Empoisonné ?
Les médecins eurent un mouvement de recul en entendant ce
mot. Non, non, il s’agissait d’un mal foudroyant, d’une affection virulente, d’une
morsure de serpent : tout sauf du poison, qui représentait une possibilité
trop effroyable pour être seulement envisagée. En outre, qui aurait voulu
empoisonner le noble Celer ?
Cicéron les laissa. Il ne douta pas un instant que Celer
avait bien été assassiné, quoiqu’il ne pût jamais découvrir si César, ou
Clodius, ou les deux à la fois y étaient pour quelque chose, et la vérité
demeure aujourd’hui encore un mystère. Il n’y avait cependant aucun doute dans
son esprit quant à la personne qui avait administré la dose fatale, car lorsque
nous quittâmes cette maison funeste, nous croisâmes Clodia, qui rentrait en
compagnie de nul autre que du jeune Caelius Rufus, encore auréolé de son
triomphe sur Hybrida. Et même s’ils s’empressèrent de prendre tous deux une
expression grave, il était manifeste qu’il venaient de rire l’instant d’avant ;
et même s’ils s’écartèrent vivement l’un de l’autre, il était manifeste qu’ils
étaient amants.
XVIII
Le corps de Celer fut brûlé sur un bûcher funéraire dressé
sur le forum en signe de deuil national. Son visage, dans la mort, était apaisé
et cette bouche noire de charbon, nettoyée, semblait un bouton de rose. César
et tout le sénat étaient présents. Clodia, très belle en vêtements de deuil,
versa abondamment les larmes de la veuve. Puis les cendres de Celer furent
ensevelies dans le mausolée familial, et Cicéron s’enfonça dans une profonde
mélancolie. Il sentait que tous ses espoirs d’arrêter la marche de César
étaient morts avec Celer.
Constatant l’état dépressif de son mari, Terentia insista
pour changer de
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