Conspirata
Arrius.
— Vas-tu demander au sénat l’autorisation de lever une
armée ?
— Il faut protéger Rome.
— Puis-je simplement te dire que si tu dois trouver
quelqu’un pour commander ces troupes, tu n’as pas besoin de chercher plus loin ?
dit Crassus en s’avançant sur son siège avec empressement. N’oublie pas que c’est
moi qui ai maté la révolte de Spartacus. Je pourrais mater celle de Manlius
avec la même efficacité.
Comme Cicéron le fit remarquer par la suite, l’impudence de
cet homme le laissait sans voix. Alors qu’il avait contribué à faire naître le
danger en soutenant Catilina, il espérait à présent s’attribuer le mérite de
son anéantissement ! Cicéron se garda de s’engager et prétendit que l’heure
était un peu tardive pour concevoir des armées et nommer des généraux, et qu’il
préférait attendre le lendemain pour décider comment réagir. Il se leva pour
indiquer que la discussion était terminée. Crassus l’imita à contrecœur.
— Quand tu feras ta déclaration devant le sénat, j’espère
que tu mentionneras le patriotisme dont j’ai fait preuve en venant te voir ?
— Tu peux compter sur moi, dit Cicéron en le poussant
hors de son bureau puis dans l’ atrium où attendaient les gardes.
— Si je peux faire quoi que ce soit d’autre… proposa
Crassus.
— En fait, il y a une question sur laquelle j’apprécierais
ton aide, dit Cicéron, qui ne manquait jamais une occasion de tirer le maximum
d’une situation. Le procès contre Murena, s’il a lieu, nous priverait d’un
consul à un très mauvais moment. Veux-tu te joindre à Hortensius et à moi pour
le défendre ?
C’était évidemment la dernière chose que Crassus avait envie
de faire, mais il fit bonne figure.
— Ce serait un honneur.
Les deux hommes se serrèrent la main.
— Je ne saurais te dire à quel point je suis heureux
que tous les malentendus qui ont pu exister entre nous soient à présent
dissipés.
— C’est exactement ce que je ressens, mon cher Cicéron.
La nuit a été fructueuse pour chacun de nous. Et encore plus fructueuse pour
Rome !
C’est avec force manifestations d’amitié, de confiance et de
respect que Cicéron reconduisit Crassus et ses compagnons à la porte, puis il
le salua, lui souhaita une bonne nuit de sommeil et promit de parler de lui dès
le lendemain.
— Eh bien, ce salopard est un fieffé menteur ! s’exclama-t-il
à peine la porte refermée.
— Tu ne le crois pas ?
— Quoi ? Qu’Arrius se serait justement trouvé en Étrurie
et se serait par hasard mis à discuter avec des hommes qui prennent les armes
contre l’État et qui, sur un coup de tête, lui auraient demandé de se joindre à
eux ? Non, je ne le crois pas. Et toi ?
— Ces lettres sont très bizarres, répondis-je. Tu crois
qu’il les a écrites lui-même ?
— Pourquoi ferait-il une chose pareille ?
— Pour pouvoir débarquer au milieu de la nuit et jouer
le rôle du citoyen loyal, j’imagine. Ces lettres lui donnaient une excuse
parfaite pour retirer son soutien à Catilina.
Je m’échauffais soudain car la vérité m’apparaissait
évidente.
— C’est ça ! Il a dû envoyer Arrius voir ce qui se
préparait en Étrurie, et quand Arrius est revenu et lui a raconté ce qu’il
avait vu, il a pris peur. Il s’est dit que Catilina allait certainement perdre
et il a décidé de prendre ses distances publiquement.
Cicéron hocha la tête d’un air approbateur.
— C’est bien vu.
Il remonta le couloir et pénétra dans l’ atrium , les
mains derrière le dos, la tête penchée en avant, plongé dans ses réflexions.
Soudain, il s’arrêta.
— Je me demande… commença-t-il.
— Quoi ?
— Mets les choses dans l’autre sens. Imagine que le
plan de Catilina fonctionne, que l’armée de va-nu-pieds de Manlius arrive à
conquérir Praeneste et marche sur Rome en continuant de gagner des partisans
dans tous les villages et villes qu’elle traverse. C’est la panique et le
carnage dans la capitale. Le sénat est pris d’assaut. Je suis tué. Catilina s’empare
effectivement du contrôle de la république. Ce n’est pas impossible – les
dieux savent que nous n’avons pas beaucoup de défenseurs alors que Catilina
compte de nombreux partisans qui vivent entre nos murs. Que se passerait-il
ensuite ?
— Je ne sais pas, répondis-je, horrifié. C’est un
cauchemar.
— Je vais te dire exactement ce qui se
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