Conspirata
Gaule cisalpine, reprit Celer en frottant son
large menton. C’est mieux que la Gaule transalpine.
— Mon chéri, intervint Clodia en posant la main sur le
bras de son mari, c’est une offre très généreuse, et je suis certaine que Nepos
et Pompée comprendront.
Celer émit un grognement et se balança à plusieurs reprises
sur les talons. Je pouvais lire la cupidité sur son visage. Il finit par lâcher :
— Dans combien de temps crois-tu que je pourrai
récupérer cette province ?
— Aujourd’hui même, répondit Cicéron. Il s’agit d’une
urgence nationale. Je pourrai défendre le fait qu’il ne saurait y avoir aucune
ambiguïté sur le commandement de quelque région que ce soit au sein de l’empire,
et que ma place est à Rome, tout comme la tienne est sur le champ de bataille
pour détruire l’armée rebelle. Nous serons unis pour défendre la république. Qu’est-ce
que tu en dis ?
Celer jeta un coup d’œil en direction de Clodia. Elle hocha
la tête en prenant un air encourageant.
— Cela te placerait devant tous tes contemporains,
dit-elle. Et cela t’assurerait le consulat.
Il grogna de nouveau, puis se tourna vers Cicéron.
— Très bien, répliqua-t-il en tendant son bras musclé
vers le consul. Pour le bien de mon pays, j’accepte.
Après sa visite à Celer, Cicéron se rendit chez Hybrida, à
quelques pas de là, réveilla le consul en exercice de sa torpeur éthylique, le
fit dessoûler, lui parla de l’armée rebelle qui se réunissait en Étrurie et lui
fit un rapide topo de ce qu’il faudrait faire dans la journée. Hybrida commença
par se dérober quand Cicéron l’informa qu’il devrait truquer le tirage pour l’obtention
de la Gaule cisalpine, mais Cicéron lui montra alors les lettres des
conspirateurs avec son nom figurant sur la liste. Ses yeux vitreux et injectés
de sang faillirent jaillir de sa tête et il se mit à transpirer et à trembler
de peur.
— Je te jure, Cicéron, que je ne sais rien de tout cela !
— Oui, mais malheureusement, mon cher Hybrida, tu es
parfaitement conscient que cette ville est pleine de jaloux et d’esprits
soupçonneux qui ne seraient que trop enclins à se laisser persuader du
contraire. Si tu veux vraiment prouver que ta loyauté est indubitable, je te
suggère de me rendre service sur la question de la Gaule cisalpine, et tu
pourras compter sur mon soutien absolu.
La question d’Hybrida était donc réglée, et il ne restait
plus qu’à convaincre les bons sénateurs. Cicéron s’y attela avant la séance de
l’après-midi, pendant qu’on prenait les auspices. Les rumeurs d’attaques
rebelles et de complots meurtriers contre les principaux magistrats allaient
déjà bon train. Catulus, Isauricus, Hortensius, les frères Lucullus, Silanus,
Murena et même Caton, qui était à présent tribun désigné au côté de Nepos – tous
furent pris à part et mis discrètement au courant. Cicéron faisait en ces
instants terriblement penser à un marchand de tapis rusé dans un bazar
grouillant de monde : il jetait des coups d’œil furtifs par-dessus l’épaule
de son interlocuteur puis derrière lui-même et parlait à voix basse, ses mains
s’agitant de façon expressive, comme s’il cherchait à conclure un marché. César
l’observait de loin tandis que j’observais César. Son expression était
indéchiffrable. Il n’y avait signe de Catilina nulle part.
Lorsque les sénateurs se rassemblèrent pour l’ouverture de
la séance, Cicéron s’assit au premier rang, à l’extrémité du banc le plus
proche de l’estrade consulaire, soit à sa place habituelle les mois où il ne
présidait pas ; Catulus se trouvait de l’autre côté. De cette position
stratégique, Cicéron pouvait, par une combinaison de signes de tête, de regards
et de chuchotements audibles adressés à Hybrida, contrôler la procédure même
quand il n’occupait pas la chaise curule. Pour être juste, il faut reconnaître
à Hybrida qu’il était presque convainquant quand on lui donnait un texte à
lire, ce qui était le cas ce jour-là. Avec ses larges épaules redressées et sa
noble tête rejetée en arrière, d’une voix que le vin rendait plus chaude, il
annonça que les affaires publiques s’étaient brutalement aggravées, et il
appela Quintus Arrius à faire une déclaration.
Arrius était de ces sénateurs qui ne s’exprimaient pas
souvent mais, lorsqu’il le faisait, on l’écoutait avec respect.
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