Conspirata
Je ne sais pas
pourquoi. Peut-être le côté ridicule de sa voix lui conférait-il des accents de
sincérité. Il se leva donc et donna tout un compte rendu de ce dont il avait
été témoin dans les campagnes : des bandes armées, recrutées par Manlius,
se rassemblaient en Étrurie ; elles n’allaient sans doute pas tarder à
atteindre dix mille hommes ; d’après ce qu’il avait compris, ils avaient l’intention
d’attaquer Praeneste ; la sécurité de Rome était menacée ; et des
soulèvements similaires étaient prévus en Apulie et à Capoue. Lorsqu’il
retourna s’asseoir à sa place, un vent de panique commençait à balayer le
sénat. Hybrida le remercia puis demanda à Crassus, à Marcellus et à Scipion de
lire à voix haute les messages qu’ils avaient reçus la veille au soir. Il remit
alors les lettres aux employés qui les rendirent à leurs destinataires. Les
sénateurs semblaient pétrifiés. Crassus fut le premier à se lever. Il raconta
comment les avertissements lui avaient été mystérieusement délivrés et comment
il s’était aussitôt rendu chez Cicéron avec ses amis. Puis il lut le message d’une
voix claire et ferme :
— « Le temps de la discussion est terminé. Le
moment de l’action est venu. Catilina a dressé ses plans. Il veut t’avertir que
le sang va couler à Rome. Ne prends pas de risque et quitte la ville en secret.
Tu seras contacté dès que tu pourras revenir en toute sécurité. »
Vous imaginez l’effet cumulatif de ces mots, psalmodiés sur
un ton grave par Crassus puis répétés, plus nerveusement, par Scipion et
Marcellus ? Le choc fut d’autant plus fort que l’on savait que Crassus
avait soutenu la candidature de Catilina au consulat non pas une mais deux
fois. Il y eut un profond silence, puis quelqu’un cria :
— Où est-il ?
Le cri fut repris par d’autres :
— Où est-il ? Où est-il ?
Dans le brouhaha général, Cicéron glissa quelques mots à
Catulus, et le vieux patricien prit la parole.
— Considérant les nouvelles effrayantes qui viennent de
nous parvenir, déclara Catulus, et conformément aux prérogatives
traditionnelles de cet ordre, je propose que les consuls soient habilités à
prendre toutes les mesures nécessaires à la défense de la république en vertu d’un
sénatus-consulte ultime du sénat. Leurs pouvoirs devront inclure, sans y être
limités, l’autorité de lever des troupes et de diriger la guerre, d’imposer un
pouvoir illimité aux alliés comme aux citoyens, et d’exercer le commandement et
les compétences suprêmes tant à Rome qu’à l’étranger.
— Quintus Lutatius Catulus propose que nous adoptions
le sénatus-consulte ultime, dit Hybrida. Quelqu’un désire-t-il s’y opposer ?
Toutes les têtes se tournèrent vers César, notamment parce
que la question de la légitimité du sénatus-consulte ultime avait été au centre
du procès de Rabirius. Mais César, pour la première fois depuis que je le
connaissais, semblait terrassé par les événements. Il n’échangea manifestement
pas un mot avec son voisin, Crassus, ni ne lui adressa ne fût-ce qu’un regard – fait
rare dans la mesure où ils étaient généralement inséparables – et je
crois bien que la trahison de Crassus à l’encontre de Catilina avait dû le
prendre totalement au dépourvu. Il ne tenta donc aucun geste d’aucune sorte
mais garda les yeux fixés droit devant lui, à mi-distance, donnant ainsi à ceux
qui l’observaient un aperçu de ces bustes de marbre dont les yeux aveugles nous
contemplent, impassibles depuis tous les bâtiments publics d’Italie.
— Alors, si personne ne s’y oppose, déclara Hybrida, la
motion est adoptée, et la présidence donne la parole à Marcus Tullius Cicéron.
Ce fut seulement alors que Cicéron se leva, sous un tonnerre
d’acclamations de la part de ceux-là mêmes qui l’avaient hué pour son attitude
alarmiste quelques semaines plus tôt.
— Pères conscrits, dit-il, je voudrais féliciter
Antonius Hybrida pour la fermeté avec laquelle il a géré cette crise aujourd’hui.
Les sénateurs murmurèrent leur approbation ; Hybrida
rayonnait.
— Pour ma part, confiant dans la protection que m’assurent
mes amis et alliés, je resterai à Rome et continuerai de défier Catilina, ce
fou meurtrier, ainsi que je l’ai toujours fait. Comme nul ne sait combien de
temps va durer cette menace, je vous demande officiellement d’être
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