Conspirata
lui.
Cicéron laissa échapper un profond soupir et mit sa tête
entre ses mains, doigts écartés, pour se masser les tempes.
— Que faire ? marmonna-t-il.
— Nous devons t’éloigner de la maison dès ce soir, dit
Quintus, et te cacher quelque part où ils ne pourront pas s’en prendre à toi.
— Tu pourrais aller chez Atticus, suggérai-je.
Cicéron secoua la tête.
— C’est le premier endroit où ils me chercheront. Le
plus sûr serait de quitter Rome. Terentia et Marcus devraient au moins se
rendre à Tusculum.
— Je n’irai nulle part, répliqua vivement Terentia, et
tu ne devrais pas partir non plus. Les Romains sont prêts à respecter toutes
sortes de chefs, Cicéron, mais jamais ils ne respecteront un lâche. C’est ta
maison ici, et c’était celle de ton père avant toi – restes-y et
défie-les d’essayer quoi que ce soit. Je sais que c’est ce que je ferais si j’étais
un homme.
Elle jeta à Cicéron un regard furieux et je craignis que
nous n’eussions droit à l’une de leurs scènes prodigieuses qui avaient si
souvent ébranlé cette modeste maison comme autant de coups de tonnerre. Mais
Cicéron se contenta d’acquiescer :
— Tu as raison, bien sûr. Tiron, envoie un message à
Atticus pour lui dire que nous avons de toute urgence besoin de renforts. Nous
allons barricader les portes.
— Et nous devrions placer quelques tonneaux remplis d’eau
sur le toit, ajouta Quintus, au cas où ils essaieraient de mettre le feu.
— Je vais rester, annonça Rufus.
— Non, mon jeune ami, dit Cicéron, tu as fait ta part,
et je t’en suis reconnaissant. Mais tu dois quitter la ville sur-le-champ.
Retourne chez ton père, à Interamna, jusqu’à ce que tout cela soit réglé, d’une
façon ou d’une autre.
Rufus voulut protester, mais Cicéron l’interrompit :
— Si Catilina ne parvient pas à me tuer demain, il te
soupçonnera peut-être de l’avoir trahi ; s’il y parvient, tu seras
entraîné dans le tourbillon. Quoi qu’il en soit, tu seras mieux loin de Rome.
Rufus essaya de discuter, en vain. Après son départ, Cicéron
nous dit :
— Il est probablement de notre côté, mais comment en
être certain ? Au bout du compte, l’endroit le plus sûr où garder un
cheval de Troie est en dehors de nos murs.
J’envoyai un esclave demander de l’aide chez Atticus. Puis
nous barricadâmes la porte et la bloquâmes avec une grosse malle. L’entrée de
service fut elle aussi bloquée et verrouillée. Nous coinçâmes ensuite une table
retournée dans le couloir afin de former une deuxième ligne de défense.
Sositheus, Laurea et moi portâmes d’innombrables seaux d’eau sur le toit ainsi
que des tapis et des couvertures, dans le but de pouvoir étouffer un feu
naissant. À l’intérieur de cette citadelle improvisée, nous disposions, pour
protéger le consul, d’une troupe composée de trois gardes du corps, Quintus,
moi-même, Sargon et son maître, un portier, et quelques esclaves armés de
couteaux et de bâtons. Et il ne faut pas oublier Terentia, bien entendu, qui ne
se séparait pas d’un lourd chandelier en fer et se serait certainement révélée
plus efficace qu’aucun d’entre nous. Les servantes avaient battu en retraite
dans la nursery avec Marcus, qui avait une petite épée d’enfant.
Cicéron affichait un grand calme. Il restait à son bureau,
réfléchissait, prenait des notes et écrivait lui-même des lettres. De temps à
autre, il me demandait s’il y avait une réponse d’Atticus. Il voulait être
prévenu à l’instant même où les renforts arriveraient. Alors, je m’armai d’un
couteau de cuisine et remontai sur le toit, où je m’enveloppai dans une
couverture pour surveiller la rue. Elle était sombre et silencieuse : rien
ne bougeait. Pour autant que je pouvais le savoir, Rome dormait profondément.
Je repensai à la nuit où Cicéron avait remporté le consulat et où nous avions
tous dîné à la belle étoile ici, sur cette terrasse, pour célébrer l’événement.
Il avait compris dès le début qu’il n’était pas en position de force et que le
pouvoir n’irait pas sans dangers : mais il aurait difficilement pu
imaginer conjoncture aussi terrible que celle que nous connaissions à présent.
Plusieurs heures s’écoulèrent. J’entendais par moments des chiens aboyer, mais
aucune voix humaine, sinon celle du veilleur qui annonçait les gardes de la
nuit. Les coqs chantèrent, comme
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