Conspirata
tout sens des proportions ; et aussi que tes craintes
pour ta propre sécurité rendent leur vie intolérable.
— C’est tout ?
— Ils estiment que tu te comportes en dictateur.
— Vraiment ?
— Ils disent aussi que tu es une poule mouillée.
— Eh bien, qu’ils aillent se faire voir ! s’exclama
Cicéron.
Pour la première fois, je le vis traiter Atticus avec
distance, ne répondant plus que par monosyllabes à ses tentatives de conversation.
Lassé par tant de froideur, son ami leva les yeux au ciel à mon intention et s’en
alla.
Tard dans la soirée du 6 novembre, bien après que les
licteurs furent partis pour la nuit, Cicéron se reposait dans la salle à manger
en compagnie de Terentia et de Quintus. Il venait de lire des dépêches de
magistrats en provenance de toute l’Italie et je lui tendais des lettres à
signer quand Sargon se mit à aboyer furieusement. Le bruit nous fit sursauter ;
il faut dire que nous étions tous sur les nerfs. Les trois gardes de Cicéron se
levèrent d’un bond. Nous entendîmes la porte d’entrée et le son d’une voix
masculine au ton pressant, puis, soudain, Caelius Rufus, l’ancien élève de
Cicéron, fit irruption dans la pièce. C’était la première fois qu’il remettait
les pieds dans cette maison depuis des mois, et nous en fûmes tous surpris car
il avait rejoint les partisans de Catilina depuis le début de l’année. Quintus
se leva aussitôt.
— Rufus, dit tranquillement Cicéron, je croyais que tu
ne voulais plus nous voir, ces derniers temps.
— Je ne cesserai jamais d’avoir envie de te voir,
Cicéron.
Il s’avança d’un pas, mais Quintus l’arrêta en posant une
main sur sa poitrine.
— Lève les mains, ordonna-t-il en adressant aux gardes
un signe de tête.
Rufus s’empressa d’obtempérer pour laisser Titus Sextus le
fouiller.
— Je suppose qu’il est venu nous espionner, commenta
Quintus, qui n’avait jamais beaucoup apprécié le jeune homme et m’avait souvent
demandé si je savais pourquoi son frère tolérait la présence d’une pareille
tête brûlée.
— Je ne suis pas venu vous espionner, répliqua Rufus.
Je suis venu vous avertir : Catilina est de retour.
Le choc les réduisit tous au silence, puis Cicéron frappa du
poing sur la table.
— Je le savais ! Baisse les bras, Rufus. Quand
est-il revenu ?
— Ce soir.
— Et où est-il à présent ?
— Chez Marcus Laeca, dans la rue des Taillandiers.
— Qui est avec lui ?
— Sura, Cethegus, Bestia – toute la clique.
Je viens juste de m’éclipser.
— Et ?
— Ils vont te tuer à l’aube.
Terentia poussa une exclamation et porta la main à sa
bouche.
— Comment ? questionna Quintus.
— Deux hommes, Vargunteius et Cornélius, se
présenteront à l’aube pour t’assurer de leur loyauté en prétendant qu’ils ont
abandonné Catilina. Ils seront armés. D’autres se dissimuleront derrière eux
pour avoir raison de tes gardes. Il ne faut laisser entrer ni l’un ni l’autre.
— Non, évidemment, assura Quintus.
— Mais je les aurais fait entrer, moi, intervint
Cicéron. Un sénateur et un chevalier… bien sûr que je les aurais laissés
entrer. Je leur aurais tendu la main de l’amitié.
Il paraissait ébahi d’être passé aussi près de la
catastrophe malgré toutes ses précautions.
— Comment être sûrs qu’il ne ment pas ? fit
observer Quintus. Ce pourrait être un piège pour nous détourner de la vraie menace.
— Il n’a pas tort, Rufus, intervint Cicéron. Ta
fidélité est à peu près aussi immuable qu’une girouette.
— Je vous dis la vérité.
— Et pourtant, tu soutiens leur cause ?
— Leur cause, oui, mais pas leurs méthodes – plus
maintenant.
— De quelles méthodes s’agit-il ?
Rufus hésita.
— Ils ont décidé de découper l’Italie en régions
militaires. À l’instant où tu seras mort, Catilina ira rejoindre l’armée
rebelle d’Étrurie. Certaines parties de Rome seront incendiées. Des sénateurs
seront massacrés sur le Palatin, puis les portes de la ville seront ouvertes
pour laisser entrer Manlius et sa horde.
C’était la première fois que Cicéron avait une connaissance
directe des intentions de Catilina. Il paraissait épouvanté.
— Et César ? Est-il au courant de tout cela ?
— Il n’était pas là ce soir, mais j’ai l’impression qu’il
sait ce qui est prévu. Catilina s’entretient souvent avec
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