Conspirata
c’était ici qu’elle se rassemblerait pour
affronter la dernière menace, sous la conduite de son nouveau Romulus.
Lorsque Cicéron partit pour le temple, sous la protection
rapprochée de ses licteurs et gardes du corps, une atmosphère de terreur
véritable s’était emparée de la ville, aussi tangible que la brume grisâtre de
novembre qui montait du Tibre. Un silence de mort régnait dans les rues. Il n’y
avait pas la moindre acclamation, ni même de huées d’ailleurs : les gens
se terraient simplement chez eux. Certains se tenaient tapis à l’ombre de leurs
fenêtres, muets, le visage blême, pour regarder passer le consul.
Lorsque nous arrivâmes au temple, nous le trouvâmes cerné
par les membres de l’ordre équestre, dont certains étaient assez âgés et tous
armés de lances et d’épées. À l’intérieur de ce périmètre de sécurité,
plusieurs centaines de sénateurs attendaient, assemblés en petits groupes
silencieux. Ils s’écartèrent pour nous laisser passer, et certains gratifièrent
Cicéron d’une claque dans le dos tout en lui chuchotant leurs encouragements. Cicéron
les salua d’un signe de tête, prit très rapidement les auspices puis pénétra
avec ses licteurs dans le grand édifice. Je n’y étais jamais entré auparavant
et il était en fait proprement sinistre. Vieux de plusieurs siècles, chaque
mur, chaque recoin regorgeait de reliques de la gloire militaire de la vieille
république – drapeaux ensanglantés, armures cabossées, proues de
navire, aigles des légionnaires ainsi qu’une statue de Scipion l’Africain
peinte avec une telle précision qu’il semblait presque se tenir parmi nous. Je
me trouvais un peu à l’arrière du cortège de Cicéron, et les sénateurs s’engouffraient
dans le temple derrière moi, mais j’étais tellement occupé à tendre le cou vers
tous ces trophées que je dus m’attarder un peu. Quoi qu’il en soit, j’avais
déjà presque atteint l’estrade quand je pris conscience, à mon grand embarras,
que le seul bruit audible dans l’édifice était le claquement de mes pas sur les
dalles de pierre. Je m’aperçus soudain que le sénat tout entier était plongé
dans le silence.
Cicéron déroulait un rouleau de papyrus. Il se retourna pour
voir ce qui se passait, et je vis son visage se figer d’étonnement. Je pivotai
sur moi-même, soudain inquiet – juste à temps pour voir Catilina
prendre sa place sur l’un des bancs. Pratiquement tout le monde était encore
debout et l’observait. Catilina s’assit tandis que tous ses voisins les plus
proches s’écartaient de lui comme s’il avait la lèpre. Jamais, je n’ai assisté
à une telle démonstration. César lui-même se garda de s’approcher. Catilina ne
parut pas faire attention, croisa les bras et releva le menton. Le silence se
prolongea, jusqu’au moment où se fit enfin entendre la voix de Cicéron, très
calme derrière moi.
— Combien de temps encore abuseras-tu de notre
patience, Catilina ?
Toute ma vie, on m’a interrogé sur le discours de Cicéron ce
jour-là. « L’avait-il écrit à l’avance ? », « Il avait au
moins dû prévoir ce qu’il allait dire ? » veut-on savoir. Et ma
réponse aux deux questions est catégorique : non. Ses paroles étaient complètement
spontanées. Des propos qu’il voulait tenir depuis longtemps, des phrases qu’il
avait répétées dans sa tête, des pensées qui lui étaient venues lors de ses
nuits d’insomnie de ces derniers mois… tout cela s’assembla alors qu’il se
dressait devant le sénat.
— Combien de temps encore allons-nous devoir supporter
ta folie ?
Il descendit de l’estrade et entreprit de parcourir très
lentement l’allée où Catilina se tenait assis. Il tendit les bras et, sans
cesser de marcher, ordonna aux sénateurs de s’asseoir, ce qu’ils firent
aussitôt. Et ce geste d’instituteur – ainsi que la prompte obéissance
des sénateurs – établit instantanément son autorité. Il parlait pour
la république.
— N’y a-t-il pas de limite à ton arrogance ? Ne
comprends-tu pas que nous savons ce que tu prépares ? Ne vois-tu pas que
ta conspiration est démasquée ? Crois-tu qu’il y ait un seul homme parmi
nous qui ne sache pas ce que tu as commis hier soir – où tu étais,
qui est venu à ta réunion et ce que tu y as résolu ?
Il arriva enfin devant Catilina, les mains sur les hanches,
et le regarda de haut en bas avant de
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