Conspirata
secouer la tête.
— Oh, quelle époque vivons-nous ! fit-il d’une
voix profondément dégoûtée. Et oh, quelle moralité ! Le sénat sait tout,
le consul sait tout, et pourtant… cet homme est encore en vie !
Il fit volte-face.
— En vie ? Non seulement en vie, citoyens, s’écria-t-il
en s’éloignant de Catilina le long de l’allée pour s’adresser aux bancs combles
au centre du temple, mais il assiste aux séances du sénat ! Il participe à
nos débats. Il nous écoute, il nous observe – et pendant tout ce
temps, il décide de qui il va tuer ! Est-ce ainsi que nous servons la
république… en nous contentant de rester assis dans l’espoir de ne pas être les
prochains sur la liste ? Voilà de quel courage nous faisons preuve !
Il y a vingt jours que nous avons voté l’autorité d’agir. Nous avons l’épée… mais
nous nous gardons de l’aiguiser ! Tu devrais être exécuté sur-le-champ,
Catilina. Et pourtant, tu vis encore ! Et tant que tu vis, loin de
renoncer à toutes tes manigances… tu les accrois encore !
Je suppose qu’à ce moment-là Catilina lui-même avait dû
prendre la mesure de son erreur en venant au temple. Pour ce qui était de la
force physique et de l’audace, il avait bien entendu l’avantage sur Cicéron.
Mais le sénat n’était pas une arène où la force brute régnait en maître. Les
armes, ici, étaient les mots, et nul mieux que Cicéron ne sut jamais manier le
langage. Pendant vingt ans, dès que les tribunaux siégeaient, il ne s’était
guère passé un jour sans que Cicéron eût pratiqué son art. Dans un certain
sens, sa vie tout entière n’avait été qu’une préparation à cet instant.
— Remontons le fil des événements de cette nuit. Tu t’es
rendu rue des Taillandiers – je serai précis – chez Marcus
Laeca. Là, tu as été rejoint par tes complices criminels. Alors, le nies-tu ?
Pourquoi ce silence ? Si tu nies, j’apporterai des preuves. En fait, je
vois même ici, au sénat, certains de ceux qui se trouvaient avec toi. Au nom du
ciel, mais où sommes-nous ? Quel est donc ce pays ? Dans quel monde
vivons-nous ? Ici même, citoyens – ici, en notre sein, parmi le
conseil le plus sacré et le plus important au monde, il y a des hommes qui
cherchent à nous détruire, à détruire notre cité, et à étendre cette
destruction au monde tout entier !
« Tu étais chez Laeca, Catilina. Tu as divisé les
régions d’Italie. Tu as décidé où tu voulais que chacun fût envoyé. Tu as dis
que tu partirais toi aussi dès que je serais mort. Tu as choisi quelles parties
de la ville devaient être brûlées. Tu as envoyé deux hommes pour me tuer.
Alors, je te le demande, pourquoi ne finis-tu pas le voyage que tu as commencé ?
Quitte la ville une bonne fois pour toutes ! Les portes sont ouvertes.
Va-t’en ! L’armée rebelle attend son général. Prends tous tes hommes avec
toi. Lave la cité de ta présence. Érige un mur entre nous. Tu ne peux rester
parmi nous plus longtemps – je ne peux pas le permettre, je ne le
veux ni ne dois le permettre !
Il frappa du poing contre sa poitrine et leva les yeux au
plafond du temple tandis que les sénateurs se levaient tous pour clamer leur
approbation.
— Tue-le ! cria quelqu’un.
— Tue-le ! Tue-le !
Le cri fut repris par les uns et les autres. Cicéron leur
fit signe de se rasseoir.
— Si je donnais l’ordre de te tuer, les autres conspirateurs
resteraient prêts à agir. Mais si, comme je le demande depuis longtemps, tu
quittes la ville, tu entraîneras avec toi cette lie constituée pour toi de
complices et pour nous d’ennemis mortels. Eh bien, Catilina ? Qu’attends-tu ?
Quels plaisirs peux-tu encore trouver dans la cité ? En dehors de cette
conjuration d’hommes ruinés, il ne reste plus une seule personne qui ne te
craigne point, plus une seule qui ne te haïsse point.
Cicéron continua encore longuement de la sorte avant d’arriver
à sa péroraison.
— Que les traîtres s’en aillent, conclut-il ! Va-t’en,
Catilina, mener ta guerre inique et infâme, et assure ainsi le salut de la
république, la ruine et le désastre pour toi, et la destruction de tous ceux
qui t’auront rejoint. Jupiter, tu nous protégeras, tonna-t-il en tendant la
main vers la statue du dieu, et tu feras connaître à ces hommes mauvais, morts
ou vifs, ton châtiment éternel !
Cicéron se détourna et remonta l’allée jusqu’à
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