Conspirata
l’estrade. On
scandait à présent : « Va-t’en, va-t’en, va-t’en ! » Pour
tenter de retourner la situation, Catilina se leva d’un bond et agita les bras
en hurlant à l’adresse du dos de Cicéron. Trop tard : pour lui, le mal
était fait et il lui manquait le talent nécessaire. Il était terrassé, humilié,
démasqué, fini. Je saisis les mots « immigrant » et « exil »,
mais le vacarme était tel qu’il ne pouvait se faire entendre et, de toute
façon, la fureur le rendait presque incompréhensible. Comme la cacophonie
faisait rage autour de lui, il finit par se taire en respirant profondément et
demeura ainsi encore un court instant, se tournant de-ci de-là tel un bateau
ballotté par une terrible tempête alors qu’il a perdu son mât et tourne autour
de son ancre. Puis quelque chose parut céder en lui. Il frissonna et quitta sa
place. Aussitôt, plusieurs sénateurs, dont Quintus, bondirent de leurs sièges
pour protéger le consul. Mais Catilina lui-même n’était pas fou à ce point :
s’il s’était précipité sur son ennemi, il n’aurait pas manqué d’être réduit en
pièces. Avec un regard méprisant alentour – un regard qui sans nul
doute engloba tous les trophées des exploits auxquels ses aïeux avaient
participé –, il sortit du sénat. Plus tard, ce même jour, accompagné de
douze partisans qu’il appelait ses licteurs, et précédé par un aigle d’argent
qui avait appartenu à Marius, il quitta la ville et se rendit à Arretium, où il
se proclama officiellement consul.
Il n’y a pas de victoire durable en politique, il n’y a que
l’impitoyable progression des événements. Si mon travail doit avoir une morale,
c’est bien celle-ci. Cicéron avait remporté sur Catilina un triomphe oratoire
dont on parlerait pendant des années. Avec sa langue pour arme, il avait chassé
le monstre de Rome. Mais la lie, comme il l’avait appelée, n’était pas partie
avec lui ainsi qu’il l’avait espéré. Au contraire, après le départ de leur
chef, Sura et les autres restèrent tranquillement à leurs places et écoutèrent
le reste des débats. Suivant sans doute le principe selon lequel l’union fait
la force, ils ne se quittaient pas : Sura, Cethegus, Longinus, Annius,
Paetus, le tribun Bestia, les frères Sylla et même Marcus Laeca, de chez qui
les deux assassins étaient partis. Je voyais que Cicéron les observait, et je
me demandais ce qui lui venait à l’esprit. À un moment, Sura se leva et suggéra
de sa voix sonore que la femme et les enfants de Catilina fussent placés sous
la protection du sénat ! La discussion s’éternisa. Puis le tribun désigné
Metellus Nepos demanda la parole. Maintenant que Catilina avait quitté la
ville, sans doute pour mener l’insurrection, la solution la plus prudente ne
serait-elle pas de rappeler Pompée le Grand en Italie pour diriger l’armée
sénatoriale ? César s’empressa de se lever pour soutenir la proposition. L’esprit
toujours aussi vif, Cicéron entrevit alors l’occasion de diviser ses
adversaires et, prenant un air innocent qui ne pouvait trahir qu’un intérêt
sincère, il demanda à Crassus, qui avait été consul en même temps que Pompée,
ce qu’il en pensait. Crassus se mit debout à contrecœur.
— Nul n’a plus haute opinion de Pompée le Grand que
moi, commença-t-il avant de devoir s’arrêter, battant avec irritation du pied
tandis que le temple vibrait de rires moqueurs. Nul n’a plus que moi haute
opinion de lui, répéta-t-il, mais je dois dire au tribun désigné que, au cas où
il ne l’aurait pas remarqué, nous sommes presque en hiver et que c’est la pire
époque pour le transport des troupes par mer. Comment Pompée pourrait-il être
là avant le printemps ?
— Laissons venir Pompée le Grand sans son armée, alors ?
objecta Nepos. En voyageant avec une escorte réduite, il pourrait être là en un
mois. Son nom vaut à lui seul une douzaine de légions.
C’en fut trop pour Caton. Il se leva aussitôt.
— Il faudra davantage que des noms pour battre
les ennemis que nous devrons affronter, railla-t-il, même si ces noms se
terminent par « le Grand ». Ce dont nous avons besoin, c’est d’une
armée : d’une armée sur le terrain – d’une armée comme celle que
lève en cet instant même le propre frère du tribun désigné. En outre, si vous
voulez mon avis, Pompée a déjà trop de pouvoirs comme ça.
Cela suscita un
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