Conspirata
déshonorant de tendre des
pièges. Cependant, tu veux que je te dise ce qui est vraiment déshonorant,
Tiron ? Ce qui est déshonorant, c’est de continuer à vivre dans une ville
qu’on projette de détruire. Si Sura n’a pas d’intentions qui relèvent de la
trahison, il enverra paître ces Gaulois. En revanche, s’il accepte de
considérer leurs propositions, je le coincerai ! Et alors, je le conduirai
moi-même aux portes de la ville pour le jeter dehors avant de laisser Celer et
son armée en finir avec lui ! Et personne ne pourra dire qu’il y a
là-dedans quoi que ce soit de déshonorant !
Il parlait avec une telle véhémence qu’il faillit me
convaincre.
X
Le procès du consul désigné Licinius Murena, accusé de
corruption électorale, commença aux Ides de novembre et devait durer au moins
deux semaines. Servius et Caton menaient l’accusation ; Hortensius,
Cicéron et Crassus la défense. L’affaire était énorme et se tiendrait au forum,
le jury seul réunissant neuf cents personnes. Ces jurés comptaient pour un
tiers de sénateurs, un tiers de chevaliers et un tiers de citoyens
respectables. Le jury était beaucoup trop important pour être soudoyé, ce qui
était le but, mais avec un tel nombre de jurés, il devenait également difficile
de prévoir de quel côté il pencherait. La partie plaignante avait un dossier
impressionnant. Servius disposait de multiples preuves de la corruption exercée
par Murena, qu’il exposa à sa manière sèche de juriste, puis il s’étendit
longuement sur le fait que Cicéron avait trahi son amitié en représentant l’accusé.
Caton adopta l’approche stoïque et fulmina contre la déliquescence d’une époque
où l’on pouvait acheter une charge avec des festins et des jeux.
— N’as-tu pas recherché le pouvoir suprême, l’autorité
suprême, le gouvernement même de l’État, en satisfaisant aux sens les plus vils
de l’homme, en ensorcelant leur esprit et en les comblant de plaisirs ?
tonna-t-il à l’adresse de Murena. Croyais-tu demander une place de souteneur à
une bande de jeunes dévoyés ou la domination du monde au peuple romain ?
Murena ne le prit pas bien du tout, et le jeune Clodius, son
directeur de campagne, qui resta près de lui jour après jour et s’efforçait de
lui remonter le moral avec ses traits d’esprit, eut peine à le calmer. Pour le
conseiller dans sa défense, Murena aurait difficilement pu trouver mieux.
Hortensius, mal remis d’avoir été écrasé pendant le procès de Rabirius, était
déterminé à montrer que le vieux loup n’était pas mort, et il s’amusait bien
aux dépens de Servius. Crassus, il est vrai, n’était pas un avocat formidable,
mais sa seule présence au banc de la défense suffisait à impressionner. Quant à
Cicéron, on le réservait pour le dernier jour du procès, où il devrait se
charger du récapitulatif pour le jury.
Durant tout le procès, il resta dans les rostres, à lire et à
écrire, et ne leva qu’occasionnellement les yeux en feignant d’être choqué ou
amusé par ce qui venait d’être dit. Je me tenais accroupi derrière lui pour lui
passer des documents et guetter ses instructions. Celles-ci n’avaient le plus
souvent rien à voir avec l’affaire, car en plus de devoir suivre le procès
chaque jour, Cicéron était à présent seul à gouverner Rome et se retrouvait
plongé jusqu’au cou dans les problèmes administratifs. Des rapports de troubles
arrivaient de partout en Italie, aussi bien dans le talon qu’à la pointe, dans
le genou et jusque dans la cuisse de la botte italienne. Celer était fort
occupé à arrêter les mécontents dans le Picenum. La rumeur disait que Catilina
était sur le point de franchir le dernier pas et de recruter des esclaves dans
l’armée rebelle en échange de leur émancipation – si cela arrivait,
le pays tout entier serait bientôt à feu et à sang. Il fallait lever d’autres
troupes, et Cicéron persuada Hybrida de prendre la tête d’une nouvelle armée.
Il le fit en partie pour afficher un front uni, mais surtout pour garder
Hybrida loin de Rome car il n’était toujours pas convaincu de la loyauté de son
collègue et préférait le savoir hors de la cité si jamais Sura et les autres
conspirateurs décidaient d’agir. C’était, me semblait-il, folie que de confier
une armée à un homme en qui il n’avait aucune confiance, toutefois Cicéron n’était
pas un imbécile. Il nomma M.
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