Conspirata
toute évidence pressés.
— Les Gaulois ont eu l’impression que les choses
allaient se mettre en place dans les jours à venir.
Cicéron réfléchit en silence.
— Dis-leur d’exiger le plus possible de preuves écrites
de l’implication de ces hommes : des lettres portant leur sceau personnel,
qu’ils pourraient montrer à leurs compatriotes.
— Et si les conspirateurs refusent ?
— Les Gaulois diront qu’il est impossible pour leur
tribu de se lancer dans une entreprise aussi périlleuse que d’entrer en guerre
contre Rome sans preuves solides.
Sanga hocha la tête puis ajouta :
— Je crains qu’après cela je ne doive mettre un terme à
ma participation à cette affaire.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il devient bien trop dangereux de rester à
Rome.
Il accepta comme une dernière faveur de revenir avec la réponse
des conspirateurs dès que les Gaulois l’auraient reçue, puis il partirait.
Entre-temps, Cicéron n’avait d’autre choix que de se rendre au procès de
Murena. Assis sur le banc, auprès d’Hortensius, il affichait un calme apparent,
mais de temps à autre, je surprenais son regard en train d’errer sur l’assemblée,
se posant tantôt sur César – qui faisait partie des jurés –, sur
Sura, qui se tenait avec les préteurs, et enfin, le plus souvent, sur Crassus,
qui ne se trouvait qu’à deux places de lui sur le banc. Il devait se sentir
affreusement seul, et je remarquai pour la première fois qu’il avait les
cheveux parsemés de gris et des poches sombres sous les yeux. La crise le
vieillissait. À la septième heure, Caton termina le résumé de son réquisitoire,
et le juge, qui s’appelait Cosconius, demanda à Cicéron s’il voulait conclure
la plaidoirie. La question parut le surprendre et, après avoir fourragé pendant
une minute ou deux dans ses documents, il se leva et demanda une suspension d’audience,
afin de pouvoir rassembler ses pensées. Cosconius parut irrité, mais concéda qu’il
était tard. Il accepta à contrecœur la requête de Cicéron, et la conclusion du
procès de Murena fut reportée au lendemain.
Nous rentrâmes sans tarder à la maison, dans ce cocon devenu
familier de gardes du corps et de licteurs, mais il n’y avait aucune trace de
Sanga, ni le moindre message de sa part. Cicéron marcha silencieusement jusqu’à
son bureau et s’assit, les coudes sur sa table de travail, le bout des doigts
pressé contre ses tempes, pour étudier le monceau de preuves étalées devant
lui, en se massant le crâne comme pour y faire pénétrer la teneur du plaidoyer
qu’il lui faudrait prononcer. Je ne l’avais jamais autant plaint. Toutefois,
lorsque je m’avançai vers lui pour lui offrir mon aide, il agita la main sans
même lever les yeux, me congédiant sans un mot. Je ne le revis pas de la
soirée. C’est Terentia qui me prit à part pour me confier combien elle s’inquiétait
pour la santé du consul. Il ne se nourrissait pas convenablement, me dit-elle,
et ne dormait pas bien non plus. Même les exercices matinaux qu’il s’astreignait
à pratiquer depuis sa jeunesse étaient délaissés. Je fus surpris qu’elle s’adresse
à moi de manière si intime, car elle ne m’avait jamais beaucoup aimé en vérité,
et reportait généralement sur moi les frustrations que faisait naître son mari.
J’étais celui qui passait le plus de temps enfermé avec lui, pour travailler. J’étais
celui qui dérangeait leurs rares moments de loisir ensemble en lui apportant
des piles de lettres et des messages de visiteurs. Néanmoins, pour une fois,
elle me parla poliment et presque comme à un ami.
— Tu dois lui faire entendre raison, me dit-elle. Je
crois parfois que tu es le seul qu’il écoutera, alors que je ne peux que prier
pour lui.
Le lendemain matin arriva et, comme nous n’avions toujours
aucune nouvelle de Sanga, je commençai à craindre que Cicéron ne fût trop
nerveux pour faire sa plaidoirie. Ayant en tête la requête de Terentia, je
suggérai même qu’il demande un nouvel ajournement.
— Es-tu fou ? répliqua-t-il. Ce n’est pas le
moment de faire preuve de faiblesse. Ça va aller. Ça va toujours.
Cependant, jamais je ne le vis trembler autant au début d’un
discours ni commencer à voix aussi basse. Le forum était comble et très bruyant
malgré les gros nuages qui s’amoncelaient au-dessus de Rome et déversaient d’occasionnelles
averses sur la vallée. Mais, au bout du compte,
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