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Conspirata

Conspirata

Titel: Conspirata Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Harris
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Cicéron sut malgré tout
distiller une dose d’humour surprenante dans ses propos, notablement lorsqu’il
compara les prétentions au consulat de Servius et de Murena.
    — Tu te lèves avant l’aube pour répondre à tes clients,
dit-il à Servius, lui se lève pour arriver à temps avec son armée au poste dont
il veut s’emparer. Tu t’éveilles au chant du coq, lui au son de la trompette.
Tu disposes les pièces d’un procès, lui range ses troupes en ordre de bataille.
Il connaît et sait le moyen de nous mettre à l’abri de l’ennemi, toi des eaux
de la pluie. Sa science consiste à reculer les bornes de l’empire, la tienne à
les définir.
    Le jury adora. Et il rit plus encore quand Cicéron tourna en
dérision Caton et sa philosophie rigide.
    — Apprenez, Romains, que toutes les qualités
excellentes et divines que nous admirons chez Caton lui appartiennent en propre ;
ses légères imperfections ne lui viennent pas de la nature mais de son maître.
Il y eut autrefois un homme de génie appelé Zénon, dont les disciples s’appellent
les stoïciens. Voici certains de ses préceptes et de ses dogmes : le sage
n’accorde rien à la faveur et ne pardonne aucune faute ; la compassion et
l’indulgence ne sont que légèreté et folie ; toutes les fautes sont
égales, tout délit est un crime ; étrangler son père n’est pas plus
coupable que de tuer un poulet sans nécessité. Le sage ne doute jamais, ne se
repent jamais, ne se trompe jamais, ne change jamais d’avis. Malheureusement,
Caton ne s’est pas saisi de cette doctrine pour en discourir mais en a fait un
mode de vie.
    — Notre consul est un vrai boute-en-train, railla Caton
d’une voix forte tandis que tout le monde riait.
    Mais Cicéron n’avait pas encore fini.
    — J’avoue que moi aussi, dans ma jeunesse, je me suis
intéressé à la philosophie. Mes maîtres, cependant, étaient Platon et Aristote.
Leurs préceptes ne sont ni violents ni excessifs. Ils disent que le sage n’est
pas toujours insensible à la faveur ; que la compassion honore l’homme de
bien ; qu’il doit y avoir des degrés dans les châtiments comme dans les
fautes ; que le sage émet souvent un doute quand il ignore, qu’il peut
être emporté par la colère ou bien se laisser fléchir et désarmer ; qu’il
doit quelquefois rectifier ce qu’il a dit, renoncer à son premier sentiment ;
enfin, que toutes les vertus doivent être renfermées dans certaines limites par
ce qu’on appelle le juste milieu. Si tu avais étudié ces maîtres, Caton, tu n’aurais
pas plus de vertu, de force d’âme, de tempérance ou de justice – cela
est impossible –, mais tu serais un peu plus enclin à la douceur.
    « Tu dis que c’est l’intérêt de l’État qui t’a poussé à
entamer cette procédure. Je le crois, Caton. Mais l’excès de ton zèle t’égare.
Pour moi, juges, si je défends Lucius Murena, ce n’est pas seulement par amitié
et à cause de son mérite, c’est surtout pour assurer la paix, le repos, la
liberté, le salut et la vie de tous les citoyens. Écoutez, Romains, dit-il en
se tournant vers le jury, écoutez un consul qui peut dire sans présomption que
le salut de la république occupe nuit et jour toutes ses pensées. Il est très
important que la république ait deux consuls aux calendes de janvier. C’est
dans Rome même qu’on médite la ruine de Rome, le massacre de ses habitants, l’extinction
du nom romain. Je vous en avertis, Romains, mon consulat touche à sa fin. Ne m’enlevez
pas un successeur d’une vigilance digne de la mienne.
    Il posa la main sur l’épaule de Murena.
    — Ne m’enlevez pas un magistrat à qui je voudrais
remettre la république intacte pour qu’il la préserve à son tour de tous ces
périls.
    Il parla pendant trois heures, ne s’interrompant de temps à
autre que pour avaler un peu de vin dilué ou essuyer la pluie de son visage.
Plus il avançait, plus son discours prenait de force, et cela me rappela un
beau poisson apparemment mort qu’on rejette à l’eau – au début inerte
et ventre en l’air, le voilà qui revit soudain d’un battement de queue dès qu’il
se retrouve dans son élément naturel. De la même façon, Cicéron puisa sa force
dans le fait même de parler, et il termina sur des acclamations prolongées, non
seulement de la part du public, mais aussi du jury. Cela se révéla un bon
présage : après le décompte des votes, Murena fut acquitté

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