Constantin le Grand
territoires barbares afin de vaincre une nouvelle fois ces Goths innombrables, défaits mais toujours renaissants.
J’étais parmi la plèbe qui regardait passer l’empereur et son fils aîné Constantin II, né de Fausta, défilant à la tête des légions, quittant Constantinopolis pour se rendre en Thrace, en Illyrie et en Pannonie, dans le pays des Goths.
Puis, quelques mois plus tard, j’ai vu Constantin le Grand, victorieux, rentrer dans sa ville et ordonner que l’on dressât, non loin de la place de l’Augusteum, une colonne de porphyre afin de célébrer son triomphe sur les Goths. Pour fêter ce jour, l’empereur a présidé à des courses données dans l’hippodrome ainsi qu’à des distributions de grain. La plèbe l’a derechef acclamé.
J’ai été convoqué au palais comme si le temps de la guerre avait fait oublier à Constantin ce qui n’était déjà plus qu’une lointaine colère.
Je me suis agenouillé devant lui. J’ai embrassé le pan de son manteau de pourpre. Il m’a aidé à me relever et m’a invité à prendre place auprès de lui.
Il avait vaincu, me dit-il, parce que ses soldats avaient le signe de Christos tracé sur leurs boucliers et que les porte-enseignes avaient levé, au moment de la bataille, le labarum , la bannière du Ressuscité.
— Les Goths, les Vandales, les Sarmates sont des bêtes blessées, a-t-il ajouté. Ils resteront pour longtemps tapis dans leurs grottes. Et les Perses ont sollicité mon amitié. Il n’est pas sur terre une nation qui ne me craigne, et, avec moi, avec la paix qu’imposent les légions, c’est la foi en Christos qui se répand. Je veux que partout, ici d’abord, dans ma Nova Roma , la loi de l’Église soit appliquée.
Comment ne me serais-je pas incliné, comment n’aurais-je pas loué l’empereur qui interdisait aux parents de tuer, de vendre ou d’abandonner leurs enfants ? Celui qui condamnait le rapt des filles exigeait aussi la pudeur, la virginité pour les jeunes épousées, et la punition pour le tuteur qui aurait défloré la jeune fille qu’il était censé protéger. En outre, Constantin ordonnait la construction de nouvelles églises, et, pour les embellir et les enrichir, acceptait qu’on pillât ce qui restait d’œuvres d’art, de statues de marbre dans les temples païens.
— Je veux que l’Église de Christos soit celle de tout l’Empire ! a-t-il répété.
Sur le conseil de l’intrigant et pervers Ablabius, les Juifs étaient surveillés, condamnés s’ils possédaient un esclave chrétien, pourchassés et punis de mort s’ils s’en prenaient à celui d’entre eux qui s’était converti à la religion de Christos.
— Es-tu satisfait ? Crois-tu toujours que j’aie oublié Dieu ?
Pour la première fois j’ai lu dans ses yeux de l’inquiétude, comme s’il avait craint de se trouver bientôt contraint, devant Dieu, de rendre des comptes.
Peu après, j’ai perçu du désespoir et de l’affolement dans le regard de Constantin le Grand.
D’un geste, il renvoyait Hésios comme si l’heure n’était plus à ménager Apollon, Sol invictus et Jupiter, mais à se soumettre au Dieu unique, à Christos.
Car Constantia, la demi-sœur, l’aînée des filles de Theodora, l’épouse de Licinius, mère de Licinius le Jeune, celle qui avait choisi de défendre les fils de Constantin contre ses propres frères, qui s’était donc opposée à Ablabius, venait de mourir.
J’ai vu son corps enveloppé dans sa tunique de soie, le front ceint d’un diadème, puisqu’elle était fille, épouse et sœur d’empereur.
Elle avait été embaumée et son visage était comme apaisé.
La ressemblance n’en était que plus forte avec Constantin.
J’ai vu l’empereur se pencher sur le cadavre de Constantia comme on se contemple dans un miroir.
Quand il s’est redressé, j’ai su qu’il avait vu sa mort en face.
36
Quelques mois plus tard, lorsque j’ai revu Constantin le Grand, j’ai compris que la mort était devenue son inséparable compagne.
Dès le lendemain des funérailles grandioses de Constantia, il m’avait ordonné de quitter la Nova Roma pour gagner Alexandrie.
J’avais été si surpris de l’ordre qu’il me donnait que je n’avais pas prêté attention à ses propos. Je ne les ai médités que plus tard.
Il m’avait dit d’une voix lasse :
— Je ne peux plus accepter que l’Église de Christos se déchire. Les temps pour moi sont ceux
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