Contes populaires de toutes les Bretagne
si vous avez vu ici un petit bonhomme
avec une fille en blanc ?
— Et cum spiritu tuo !
— Est-il sot, ce prêtre ! murmura le monsieur.
Dès qu’il fut sorti de l’église, la baguette fit encore son
office : Grand-Vent et ceux qui le montaient reprirent leur forme
naturelle et continuèrent leur route.
— Ne vois-tu rien derrière ? demanda la jeune
fille en blanc.
— Non, je ne vois rien.
Au bout d’un certain temps, elle demanda encore :
— Ne vois-tu rien venir, à présent ?
— Non, répondit-il, je ne vois rien.
— Fais bien attention, dit-elle. Regarde loin derrière.
— Oui, dit-il, je vois comme un tourbillon de feu.
Aussitôt la fille en blanc frappa trois coups de sa baguette
en disant :
— Que Grand-Vent soit une rivière, que je sois un
bateau et que mon mari soit le passeur.
Quand le monsieur et sa femme furent arrivés au bord de la
rivière, ils dirent au batelier :
— Passeur, avez-vous vu par ici un petit bonhomme avec
une fille en blanc ?
— Oui, répondit-il, je les ai passés il n’y a pas bien
longtemps.
Aussitôt, ils entrèrent dans le bateau. Mais quand ils furent
au milieu de la rivière, le bateau chavira et le monsieur et sa femme se
noyèrent. La baguette joua encore une fois : Grand-Vent et ses cavaliers
reprirent leur forme naturelle et revinrent tranquillement au château. Ils
eurent toute la fortune du monsieur, et depuis, je ne sais ce qu’ils sont
devenus.
Ercé-près-Liffré (Ille-et-Vilaine).
Ce conte
a été recueilli en 1879. La version transcrite par P. Sébillot ( Contes Populaires de
la Haute-Bretagne , I, p. 197-205) présente quelques incohérences, notamment dans
l’épisode de la tourterelle, qui n’était plus compris, semble-t-il, du
locuteur. Il est vrai que cet épisode se réfère à des éléments mythologiques
assez anciens. On y retrouve le chaudron de résurrection et de renaissance
connu dans la tradition irlandaise et surtout dans la tradition galloise comme
archétype du Graal. Le thème du démembrement de la divinité – en l’occurrence
la jeune fille en blanc qui est un des aspects de la déesse protectrice – est
répandu dans toutes les traditions. Quant à la tourterelle, elle symbolise
l’âme de la jeune fille en blanc : grâce à son démembrement, grâce au feu
sous le chaudron et grâce à l’intervention du jeune homme, la jeune fille
divine retrouve son âme et sa liberté. Tout cet épisode se réfère aux mystérieux
rites de Samain , la grande fête celtique des Morts, marquée par des
cérémonies assez obscures. L’ensemble du conte rappelle un récit recueilli à
Ouessant (J. Markale, la Tradition celtique en Bretagne armoricaine , p. 186-191), les Femmes Cygnes : là les jeunes filles
viennent sur l’étang sous forme d’oiseaux. Les deux contes proviennent de la
même source.
LA FONTAINE DE MARGATTE
Il y avait autrefois à Combourg un seigneur qui avait fait
bâtir un château non loin de l’étang. Un jour qu’il se promenait sur les bords
de cet étang et qu’il arrivait du côté de la Fontaine de Margatte, il aperçut
un étrange petit homme dans un buisson. C’était un nain, vêtu d’un habit de
couleurs vives. Il se débattait au milieu des épines et ne pouvait se dépêtrer
des ronces qui déchiraient son habit et le griffaient cruellement.
Le seigneur s’approcha du buisson et vint en aide au petit
homme. Il eut toutes les peines du monde à le tirer de là. Il y parvint
cependant et le petit homme, après s’être reposé un instant, le remercia.
— Mais que faisais-tu dans ce buisson ? demanda le
seigneur.
Le petit homme répondit :
— Il y a une pierre blanche dans ce fourré, une pierre
qui peut être bien utile, car il suffit de la placer dans la Fontaine de
Margatte pour l’empêcher de déborder. C’est elle que je voulais trouver.
Le seigneur jeta un coup d’œil sur la fontaine : elle
coulait doucement et son eau se répandait tranquillement dans l’étang. Il
n’était guère possible qu’elle débordât, et en tout cas, si elle débordait,
elle ne ferait que remplir un peu plus cet étang dont le niveau était assez
bas. Le seigneur se mit à rire.
— Ne ris pas, dit le nain. Tu le regretteras peut-être
un jour.
Et il disparut à travers les bois.
À quelque temps de là, le seigneur, qui était à cheval,
passait par un chemin étroit. À cette époque, tous les chemins étaient étroits
et profonds. Tout
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