Contes populaires de toutes les Bretagne
attachée au collier d’un petit chien et il le laissa aller à la grâce
de Dieu.
Jean le Soldat se mit en route. Il avait le cœur bien gros
de la méchanceté de sa mère. Il se laissait conduire par son chien et il arriva
ainsi dans une ville. Or, au même moment, le roi de ce pays se promenait avec
sa fille.
En le voyant, la princesse dit à son père :
— Ah ! mon père, est-ce que tu n’as pas fait
construire une grande maison pour les aveugles ? Il faut y mettre ce
pauvre jeune homme.
Le roi ordonna qu’on conduisît Jean à la Maison des
Aveugles. Mais la princesse, qui avait pris beaucoup d’intérêt pour lui,
l’envoyait souvent chercher pour le promener dans le jardin de son père. Elle
prenait grand plaisir à faire la conversation avec lui, et elle finit par tant
l’aimer qu’elle dit au roi :
— Père, voilà celui que j’épouserai.
Le roi ne répondit rien, croyant que sa fille plaisantait.
Mais bientôt, elle obtint que Jean restât au château. Un jour qu’ils étaient
tous les deux à se promener dans le jardin, la princesse dit à Jean :
— Attendez-moi ici. J’ai oublié ma broderie et je vais
aller la chercher.
Comme elle mettait un peu de temps, Jean se mit à marcher
dans le jardin, mais son pied s’embarrassa dans une racine, et il tomba la tête
la première dans une fontaine qui se trouvait là.
Or, dès que l’eau eut touché ses yeux, ceux-ci redevinrent
sains et il vit aussi clair qu’avant d’avoir été mutilé par le voleur.
Quand la princesse revint, elle ne le reconnut pas. Elle lui
demanda comme si elle s’adressait à un passant :
— N’avez-vous pas vu un pauvre aveugle par ici ?
— L’aveugle, c’est moi, répondit Jean.
Alors elle le reconnut et fut toute joyeuse qu’il ait
retrouvé la vue. Elle l’emmena avec elle et alla trouver son père.
— Voici mon mari, lui dit-elle.
Le roi lui répondit :
— Tu prétendais que tu te marierais avec un aveugle, mais
celui-ci fait bon usage de ses deux yeux.
— Ah ! certes, dit-elle, mais il est guéri.
Et elle raconta au roi comment Jean était tombé dans la
fontaine et comment l’eau lui avait rendu la vue.
C’est ainsi que la princesse se maria avec Jean le soldat. Il
y eut de belles noces où rien ne manqua, ni nourriture, ni boisson.
Jean demeura un certain temps avec sa femme. Puis un jour,
il se dit :
— Vraiment, il faut que je tire quelque vengeance de ma
mère et du voleur, car ils ont été trop méchants envers moi.
Sans rien dire à personne, il se mit en route. Arrivé près
de l’endroit où sa mère demeurait avec son voleur, il se déguisa en ramoneur,
puis il frappa à la porte, demandant à ramoner les cheminées de la maison. On
lui dit qu’il pouvait faire son travail.
Il le fit durer jusqu’au soir. Il dit à sa mère qui ne
l’avait pas reconnu :
— Ne pourriez-vous me loger quelque part pour cette
nuit ?
— Oui, répondit-elle, il y a de la place dans le
grenier.
Jean monta au grenier et fit semblant de dormir. Il attendit
que la nuit fût bien noire et vint écouter à la porte. Il entendit ronfler sa
mère et le voleur. Alors il entra sans bruit dans la chambre, il alluma une
chandelle, et il aperçut, au-dessus du lit, le petit couteau que le voleur lui
avait dérobé et avec lequel il lui avait crevé les yeux.
Il se saisit du couteau, et quand il l’eut dans la main, il
s’écria :
— Maintenant, vous êtes en mon pouvoir et vous ne
m’échapperez pas !
Ils se réveillèrent en sursaut et furent saisis de crainte.
— Ah ! mon fils ! lui dit sa mère. C’est donc
toi !
— Oui, ma mère, répondit Jean. Je sais ce que tu m’as
fait et je suis venu te faire subir le châtiment que tu mérites.
Il creva les yeux à sa mère et au voleur, et il les chassa
sur la route en pleine nuit.
Puis il rentra au château du roi retrouver sa femme, la
princesse. Et s’il n’est pas mort, il vit encore.
Saint-Cast (Côtes-du-Nord).
Ce conte
a été recueilli en 1880. Il présente de nombreux thèmes communs au folklore universel,
en particulier la baguette magique qui permet de franchir les obstacles et le
couteau qui rend invincible. Ce qui est plus rare, c’est l’antagonisme entre la
mère et le fils : d’ordinaire le héros est en butte aux tracasseries d’une
méchante sœur qui est jalouse de lui ou qui veut lui ravir son pouvoir.
Cependant une histoire assez semblable se retrouve dans un conte du
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