Courir
du Mémorial
Rosicky. A Belgrade il est nettement battu pour cause de dérangement
intestinal, justement dû à un abus de fruits. A Varsovie, journées décevantes,
Émile se traîne sans éclat sur dix mille mètres pour être irrémédiablement
lâché le lendemain sur cinq mille.
Il n’est pas dupe, il voit que l’heure de la retraite va
sonner. Mais il ne le prend pas mal, il l’évoque en semblant s’en amuser. Il
continue de se dire content que les petits jeunes le surpassent et s’apprêtent
à améliorer tous ses records. Il espère simplement durer jusqu’à Melbourne où
il s’obstine à vouloir faire bonne figure. Ensuite, dit-il, finis les
déplacements. Je courrai autour de ma maison, je m’occuperai de former tous ces
petits jeunes qui aiment la longue distance et voilà tout. Le voici même qui se
met à se déplacer à moto, une petite NSU Quickly qu’on lui a offerte à
Karlsruhe. Enfin, c’est surtout Dana qui la pilote, lui se contente de la
suivre en trottinant pour rire quand il faut poser devant les photographes de
presse.
Parfois, quand même, Émile se reprend un peu, mais c’est
aussi qu’il ne faut pas qu’on le cherche. À Brno, par exemple, il dispute cinq
mille mètres contre un Polonais nommé Krzyskowak qui vient de le battre à
Varsovie et qui s’y voit déjà, qui entend bien continuer. Parti devant, ce
Krzyskowak ne veut donc surtout pas qu’Émile le dépasse et, déloyal, tente même
de s’en débarrasser en le bousculant à mi-parcours pour le projeter hors de la
piste. Grosse colère du doux Émile, qui évite le coup bas et prend la tête
après le virage. Mais Krzyskowak revient en force, repasse devant lui, le
distance et paraît devoir gagner quand Émile, toujours furieux, serrant les
dents, déborde le Polonais à toute allure juste avant l’arrivée pour terminer
avec son meilleur temps de l’année. Il gagne sous les habituels tonnerres
d’applaudissements, il est redevenu le héros du match, le roi de la piste. Non,
tu vois, tout n’est pas complètement foutu pour Émile. Mais tu vois bien aussi
que lorsqu’il gagne, c’est en se contentant d’accélérer progressivement, tant
qu’il peut, dans les derniers kilomètres. Il ne procédait pas ainsi auparavant.
Gagner moins souvent n’est pas grave pour n’importe qui
passant par des hauts et des bas. Sauf que lui jusqu’ici, toujours premier, n’a
jamais connu d’étiage. Or il est bien normal qu’en vieillissant il récupère
moins bien, que ses efforts le fatiguent plus vite, qu’il mette plus de temps à
se remettre. Il le sait mais parfois se rebiffe encore, comme s’il n’en voulait
rien savoir, il s’obstine à relancer les dés. Toujours affable et nullement
accablé, c’est ainsi qu’il annonce son intention de s’attaquer encore une fois
à son record de Bruxelles.
Ça ne marche toujours pas. Ça marche si peu qu’après un
match Londres-Prague, Émile qui s’est retrouvé troisième semble en tirer les
conclusions. Il annonce que, sans abandonner définitivement l’athlétisme, il ne
participera plus aux rencontres internationales après les Jeux de Melbourne. Il
vaut mieux se retirer quand on est encore en forme, observe-t-il en précisant
qu’il a pris cette décision depuis un certain temps. Et puis ça va comme ça,
ajoute-t-il, mes succès ont assez duré.
Mais il est terrible, quand même. Voici que malgré tout
l’idée lui vient de battre un autre de ses records mondiaux, celui de l’heure,
et il va le faire à Celakovice qui est une petite ville proche de Prague. C’est
ainsi. Une lubie, comme ça, qui le prend. Émile y renonce au dernier moment car
la piste n’est pas prête mais, à la place, il décide de courir vingt-cinq
kilomètres pour tenter de reprendre le record sur cette distance, que le Russe
Ivanov lui a ravi il y a un mois. Et voilà, il court et il le reprend. Ce type
qu’on commençait à dire fini possède à nouveau tous les records du monde en
longue distance, du six miles aux trente kilomètres. On n’y comprend plus rien.
On ne sait plus que penser. On le soupçonne d’avoir monté
une stratégie, caché son jeu toute cette saison, donné des signes de faiblesse,
voire de déclin, pour réaliser cet exploit imprévu de Celakovice. On l’imagine
négligeant volontairement ses chances sur cinq mille et dix mille mètres pour
préparer de plus longues distances, sans doute en vue du marathon de Melbourne.
C’est qu’il avait
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