Crucifère
retissées.
— C’est par ici, dit-elle.
Simon et les gardes échangèrent un regard.
— Tu es sûre ? demanda Simon.
Les soldats verts paraissaient hésiter.
— Sûre et certaine.
Au-dessus de la canopée, un cri les invita à avancer. « Venez », semblait dire l’oiselle. « Tout va bien… »
— Je n’aime pas ça, dit l’un des soldats verts en posant à terre le bout de la caisse qu’il portait.
— Moi non plus, dit un autre en faisant de même.
— Ça pue le piège, décréta un troisième.
Le quatrième ne fit aucun commentaire, mais lâcha lui aussi la caisse qu’il tenait. Dans la jungle immobile, des perroquets à la queue verte et au corps rouge filaient tels des éclairs au-dessus d’eux. Parfois, un animal tenant à la fois du singe et du lémurien s’amusait à cogner une noix contre un tronc. Des gros moustiques vrombissaient autour d’eux, épais nuages d’entités vibrionnantes qu’ils traversaient en toussant pour en émerger le visage et les mains couverts de pustules rouges, un goût de sang dans la bouche.
— Très bien, dit Cassiopée. Si vous savez mieux que moi par où il faut aller, je vous suis.
Les quatre soldats verts et Simon échangèrent des regards qui semblaient dire : « Renonçons », mais Simon décréta :
— Cassiopée, tu vas nous précéder. Et, s’il y a du danger, tu nous appelles.
Cassiopée inspira une grande goulée d’air chargé d’humidité, et dit en esquissant une révérence :
— À ta guise…
Elle s’avança dans l’étroit boyau végétal, mélange si dense de toiles, de branchages et de lianes qu’il semblait impénétrable. Inclinant respectueusement la tête, saluant elle ne savait quels esprits de la jungle, elle fit un pas en avant, puis deux.
Il faisait sombre comme au fond d’un puits. Derrière elle, les lambeaux de jour où l’attendait Simon appartenaient à une autre vie. Cassiopée, qui n’avait pas d’arme pour fendre la toile d’araignée, l’écarta des deux mains, nageant dans un océan gluant, fait de coton et de lin. De minuscules bestioles s’y trouvaient prises au piège, certaines déjà mortes, d’autres à l’agonie. Quelques-unes étaient plus grosses que sa tête, et elle trembla en voyant un couple de singes enlacés dans la mort au milieu de la toile.
— Ça va ? demanda Simon.
Cassiopée ne répondit pas, craignant d’avaler Dieu sait quoi si elle ouvrait la bouche. Déjà, son visage, sa poitrine et ses mains étaient couverts de matière visqueuse, et elle était persuadée que des bêtes l’inspectaient, à la recherche d’un carré de peau nue où enfoncer leur aiguillon. Puis, finalement, comme elle n’y voyait rien, elle décida de fermer les yeux. Elle avançait à tâtons, cherchant à se remémorer la trajectoire qu’Emmanuel et elle avaient suivie…
Elle sentit la panique la gagner, pensa à son père et à Emmanuel. Il n’était pas question de les abandonner. Mais qui pouvait l’aider, elle ?
Dans le ciel, l’oiselle poussa un cri.
Cassiopée la remercia silencieusement, heureuse de pouvoir continuer à compter sur celle qu’elle avait toujours considérée comme sa bonne étoile « Ma fidèle Galline ! »
Soudain, elle perçut une présence. Là, au-dessus d’elle. Quelque chose de lourd et de massif se déplaçait entre les branches. Parfois, ça bondissait, passant d’un arbre à l’autre – avec un bruit de feuilles et de sourds craquements. Qu’est-ce que c’était ? La Reine Blanche ? « Allons, se dit Cassiopée. Certes, je dérange ses toiles. Mais ne me suis-je pas montrée respectueuse de son territoire, la première fois que j’y ai pénétré ? » Elle se rappelait combien Emmanuel et elle avaient pris soin de ne pas tuer de bébés araignées, espérant que cela suffirait à neutraliser l’hostilité de leur mère. Mais parfois, ce n’était pas assez. Il arrivait que les monstres aient envie de vous dévorer parce qu’il était dans leur nature de le faire.
C’était le cas.
Un mouvement d’air au-dessus de sa tête l’avertit que quelque chose d’énorme était en train de lui tomber dessus. Elle plongea en avant et poussa un cri.
Derrière elle, Simon l’appela :
— Cassiopée !
— Simon !
Un bruit d’épée tirée du fourreau résonna à l’entrée du boyau, et Simon pénétra dans l’antre de l’araignée anthropophage.
Cassiopée sentit qu’une créature la manipulait entre
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