Crucifère
que vous ne préfériez débarquer avant ?
— Débarquer avant ? Pour quelle raison ?
Il eut un sourire énigmatique, et répondit comme si c’était la chose la plus évidente du monde :
— Mais pour aller aux Enfers…
Ayant enfilé une veste, il montra à Cassiopée les nombreuses cartes maritimes qui s’empilaient sur son lit et sur son bureau.
— J’ai là toute la Méditerranée, et tous les fleuves circulant à la surface et au-dessous de la Terre ! Tout ce qui peut se naviguer se trouve représenté sur l’une ou l’autre de ces cartes, héritées d’une collection commencée par mon auguste ancêtre, l’immense poète Virgile. C’est ma passion ! Vous ai je dit que je collectionnais les portulans ? Les astrolabes ? Les clepsydres ? Tout ce qui peut aider à se situer dans l’espace et le temps ?
Elle eut à peine le temps de répondre que Chefalitione continuait :
— Vous comprenez mon désarroi quand dans les geôles du Vatican j’en ai été privé. Je ne savais plus ni où ni quand j’étais, ayant perdu le sens de l’orientation à cause de l’obscurité permanente où j’étais plongé.
Rivant sur elle deux yeux injectés de sang, il poursuivit :
— Avec La Stella di Dio, je rêve de faire le tour du globe. Un exploit que personne n’a accompli avant moi ! Le sillonner en long, en large et en travers, sous toutes les latitudes !
Ses yeux jetaient des éclairs, il revivait. Il se mit à fouiller dans sa montagne de cartes, à la recherche d’un document. Le cœur de Cassiopée battait la chamade. Enfin, il extirpa de sous une pile de manuscrits un parchemin enroulé. À en juger par son aspect, il semblait fort ancien. Des taches brunâtres le rendaient presque illisible, mais en le plaçant devant la lampe qui brûlait au plafond de sa cabine, Chefalitione fit apparaître neuf lugubres points noirs, de la taille d’un ongle.
— Croyez-le ou non, c’est la carte des Enfers. Ou, plutôt, des portes de l’Enfer…
Il la tendit à Cassiopée, et se replongea dans ses documents, à la recherche d’un autre parchemin, qu’il lui présenta en disant :
— Celle du royaume des Ombres, la voici. Voyez comme on y distingue les trois principales régions infernales, l’Érèbe, le Tartare et les champs Élyséens…
Cassiopée vit trois zones colorées d’orange et de rouge, parcourues par des veines ressemblant à des fleuves. Elle approcha le doigt pour la toucher, puis le recula – de crainte de l’abîmer.
— N’ayez pas peur ! dit Chefalitione. Cette carte en a vu d’autres !
Pour le lui prouver, il l’approcha de sa lampe, au point de la mettre en contact avec la flamme. Cassiopée crut que le parchemin allait brûler, mais il n’en fut rien. Au contraire, il semblait se plaire au contact du feu.
— Observez, dit-il. Voyez comme elle réagit à la chaleur…
Sous les yeux étonnés de Cassiopée, les lignes se mirent à luire et prirent une jolie couleur mordorée.
— Ce sont les cinq fleuves de l’Enfer. Ils séparent le royaume des Ombres de celui des vivants. Mieux que des barreaux de prison, ils empêchent les morts de revenir sur terre.
Du bout de l’index, il caressa l’un des fleuves qui serpentait sur la carte :
— L’Achéron, encore appelé « fleuve de l’Affliction ». C’est le premier fleuve des Enfers, celui que Charon vous aide à traverser, si vous avez de quoi payer.
— Et sinon ?
— Sinon, vous errez sur ses rives, éternellement. Ensuite, voici le Cocyte, le « fleuve des Gémissements ». On dit que ses eaux sont formées par les larmes des voleurs et des meurtriers – par les pleurs des méchants.
Cassiopée déglutit, en ouvrant de grands yeux.
— Là, c’est le Phlégéthon, poursuivit Chefalitione en lui montrant un trait rutilant. Un affluent de l’Achéron. On dit que c’est un fleuve de flammes. Sa source se trouverait du côté de Naples, dans les champs Phlégréens.
— Naples ? Mais c’est tout près d’ici…
Chefalitione releva les yeux de sa carte, et regarda Cassiopée :
— Ce n’est qu’à deux jours de navigation. Or, si ces cartes disent vrai, vous rejoindrez l’Enfer directement – sans avoir besoin de passer par le puits des Âmes. Ce qui vous épargnera plusieurs mois de voyage !
Le visage de Chefalitione se rembrunit, et il ajouta :
— Je dois cependant vous mettre en garde. Si vous parvenez à gagner les Enfers, promettez-moi de ne
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