Crucifère
Elle ne savait ni où ni quand, mais elle savait qu’elle le retrouverait, et qu’ils pourraient s’étreindre et se parler. Ensuite, elle reprendrait la rédaction de sa Suite et fin de Perceval, pour y coucher l’histoire du meilleur chevalier du monde.
Soudain, elle fut traversée par la pensée que Chefalitione pouvait avoir besoin d’elle. Quittant le pont principal, elle se dirigea vers la poupe du navire, où se trouvait la cabine du capitaine.
Après avoir frappé à la porte, et n’ayant pas obtenu de réponse, elle s’apprêtait à partir, lorsqu’une voix faible s’enquit :
— Qui va là ?
— C’est moi, Cassiopée. Nous nous sommes rencontrés…
— Je me souviens très bien de vous, souffla Chefalitione. Entrez donc.
Elle ouvrit la porte et pénétra dans une cabine encombrée de livres, de portulans et d’instruments de navigation – astrolabe de mer, sphères armillaires. Dans une alcôve, un lit à une place – où reposait Chefalitione. Il paraissait moins mal en point, mais était encore incapable de se lever seul.
— Comment vous sentez-vous ? demanda Cassiopée en lui prenant la main.
— Mieux, grâce à vous, susurra Chefalitione.
Il était si fatigué que ses yeux se fermaient parfois malgré lui.
— Remerciez surtout le marquis de Montferrat. C’est lui qui a payé votre rançon.
— Je n’y manquerai pas…, dit-il en fermant les yeux tout à fait.
Il s’était endormi. Cassiopée le regarda. La tête appuyée sur un oreiller, on aurait dit un enfant. Malgré sa barbe et ses longs cheveux gris, son visage avait quelque chose d’ingénu.
Les jours suivants, alors qu’ils longeaient l’Italie, Cassiopée avait pris l’habitude de lui apporter un bol de soupe et du pain. Quand il dormait, accablé de fatigue, elle restait auprès de lui. Puis un matin, un marin vint lui dire que le capitaine allait mieux, et qu’il demandait à lui parler. « Il veut vous remercier d’avoir veillé sur lui. »
Cassiopée le trouva, assis dans son lit, en train de manger. Des parchemins étaient étalés autour de lui. Des cartes maritimes.
— Capitaine ?
Il regarda Cassiopée, un grand sourire sur le visage, et lui demanda :
— Saviez-vous que cette nef s’appelait simplement La Stella, autrefois ?
— Oui. Elle est vraiment superbe.
— Avez-vous remarqué comme elle est bien gréée ? Connaissez-vous seulement le nombre de ses gouvernails ?
— Trois.
— Au moins avez-vous remarqué cela. Mais ce n’est pas tout…
Cassiopée était heureuse de voir qu’il allait beaucoup mieux. En parlant de sa nef, Chefalitione reprenait vie. Une petite flamme s’allumait au fond de ses yeux, et ses mains se mettaient à danser. Il repoussa l’une de ses couvertures, et dit à Cassiopée :
— Je manque à tous mes devoirs ! En tant que capitaine, je dois vous faire visiter.
— Non, reposez-vous…
— Billevesées !
Elle n’eut pas le temps de lui proposer de l’aider qu’il était déjà debout, passant par-dessus sa chemise de nuit un pantalon de toile épaisse et chaussant de grosses bottes de marin.
— Vous ne devriez pas !
Mais il n’écoutait pas, uniquement préoccupé de s’habiller pour retrouver son navire, sa place de capitaine.
— Je suis de retour ! s’exclama-t-il.
Aussi étonnant que cela paraisse, il reprenait forme humaine. Comme si, tel Antée recouvrant ses forces lorsqu’il touchait terre, Chefalitione renaissait lorsqu’il était à bord de La Stella di Dio.
— Cette nef a une âme, vous savez ?
Il effleura l’une des parois de sa cabine, et La Stella di Dio émit un sourd craquement, comme réagissant à sa caresse.
— J’adressais mes prières à Marie, poursuivit-il à mi-voix. Je lui demandais, non pas de me sauver, mais de sauver ma chère Fenicia.
— Vous allez bientôt la retrouver, et vous pourrez vous marier.
Il secoua la tête.
— Non, pas tout de suite…
Il se sentait une dette envers elle et le marquis de Montferrat – qui lui avait raconté l’histoire de Cassiopée.
— Certes, expliqua-t-il, j’ai retrouvé mon navire et son équipage. Mais je dois vous conduire à bon port, et ensuite tout faire pour vous aider dans vos quêtes respectives. Vous, à sauver votre père ; le marquis, à sauver la Terre sainte des hordes de Saladin. Dès que possible, j’enverrai un courrier à Fenicia, afin de la prévenir. Mais, pour l’instant, cap sur Tyr… À moins
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