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Crucifère

Crucifère

Titel: Crucifère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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petite barque quitta le port d’Ostie. À son bord, deux rameurs, avec entre eux quelque chose de vaguement humain. Mais était-ce vraiment un homme ? C’est ce que se demandaient Montferrat et Cassiopée, tandis que la barque émergeait de la brume. Enfin, quand elle se fut un peu rapprochée, Cassiopée reconnut celui qu’elle avait brièvement croisé autrefois, au Krak des Chevaliers : l’intrépide capitaine Tommaso Chefalitione.
    On l’aurait dit vieilli d’une vie. Le brave et fort capitaine avait été réduit à l’état de poupée, de ces jouets composés de chiffon et de paille que l’on donne aux enfants pour qu’ils cessent de brailler. « Ce doit être un effet, produit par la distance et le brouillard », se disait Cassiopée. Mais non. La barque se rapprochait toujours, et l’ombre d’homme restait une ombre d’homme. Brindille vêtue d’un fantôme de feuille, ou bourgeon racorni par un gel tardif, le capitaine était une esquisse, une approximation d’être humain. Une barbe embroussaillée se perdait sur sa poitrine étroite, et ses yeux – deux minuscules billes noires – semblaient perdus dans l’infini.
    Enfin, quand la petite barque heurta le flanc de La Stella di Dio, il fallut les rameurs et deux hommes d’équipage pour aider Chefalitione à monter à bord.
    — Capitaine, vous êtes ici chez vous, dit le marquis de Montferrat en lui montrant les ponts du navire.
    Il n’y eut pas de réponse, sinon le grincement des rames que les rameurs manœuvraient pour repartir au port.
    — Je vais vous conduire à vos quartiers…
    Montferrat prit le capitaine par le bras, et l’emmena vers la poupe.
    S’approchant de Cassiopée, Simon lui demanda :
    — Tu es sûre que c’est vraiment Chefalitione ? Je ne le reconnais pas.
    Un instant de silence, au terme duquel elle répondit :
    — Laisse-lui le temps. Cela fait des mois que le soleil n’a plus été pour lui qu’un mot, dont même le souvenir s’est effacé…
    — Le temps, maugréa Simon. Toujours le temps… Pourquoi ne saute-t-il pas de joie ? Il a coûté une fortune à Montferrat, et ce n’est plus qu’une loque humaine. Ça m’étonnerait beaucoup que la mère de Josias se réjouisse de le revoir.
    Cassiopée regarda Simon droit dans les yeux :
    — Et si c’était à moi que c’était arrivé ? N’aimerais-tu pas me savoir libre, même en mauvaise santé, plutôt qu’agonisante dans les geôles du Vatican ?
    — Jamais je n’aurais permis qu’on t’emprisonne !
    — Crois-tu que Fenicia ou Josias aient eu le choix ?
    — On a toujours le choix.
    — Alors, tu as choisi de laisser tomber mon père en Enfer ?
    — Ton père, non. Le mien, oui ! répliqua rageusement Simon en tournant les talons.
    Cassiopée le regarda s’en aller donner un coup de main aux marins qui relevaient les ancres et faisaient tourner les gouvernails, afin de redescendre le Tibre vers la Méditerranée.

8.
    « Pierre Damien dit aussi que saint Odilon découvrit qu’auprès du volcan de Sicile on entendait souvent les voix et les hurlements de démons qui se plaignaient de ce que les âmes des défunts étaient arrachées de leurs mains par les aumônes et les prières. »
    (JACQUES DE VORAGINE,
    La Légende dorée.)
    Malgré tout, Cassiopée était certaine qu’ils avaient pris la bonne décision. Arracher Chefalitione aux geôles du Vatican était peut-être la première des nombreuses épreuves dont il lui faudrait triompher pour sauver son père. En sacrifiant son trésor de guerre, Montferrat n’obéissait-il pas à Jésus ? Celui-ci ne disait-il pas : « Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous » ? N’avait-il pas maintes fois expliqué qu’il serait plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au Paradis ?
    Bras croisés sur la poitrine, face au vent marin et à la nuit qui montait, Cassiopée avait envie de rire. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait emplie de joie ; un feu lui chauffait la poitrine.
    Le vent soufflait, semant sur tous les ponts de gros paquets d’embruns. Cassiopée n’en avait cure. Elle se sentait habitée.
    Elle avait envie de remercier la mer, et d’embrasser le vent. De se laisser fouetter par les froids paquets d’eau qui se fracassaient sur La Stella di Dio. Elle avait envie de crier, de remercier Dieu. Elle retrouverait son père ! Elle en avait la conviction.

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