Crucifère
possédaient plus que deux places fortes importantes – Marqab et le Krak des Chevaliers – et une poignée de villes, parmi lesquelles Antioche, Tripoli et Tyr – que le marquis de Montferrat avait pour ainsi dire sauvée. Mais qui pouvait leur assurer qu’en leur absence la Terre sainte tout entière n’était pas devenue musulmane ? Peut-être que Tyr était tombée.
Et avec elle la base d’où pouvait être lancée la contre-offensive qui permettrait de reprendre Jérusalem.
Montferrat se sentait personnellement responsable du sort de Tyr. Quand il s’y était présenté, au beau milieu de l’été 1187, la ville était déjà sur le point de se rendre. Qui sait si elle n’avait pas cédé aux musulmans, dont les troupes la cernaient ?
Égrenant dans sa tête les secondes qui s’étaient écoulées depuis que son oiselle avait pris son essor, Cassiopée guettait le ciel au-dessus de Tyr, et soudain s’écria :
— La voici !
Tous levèrent les yeux, et virent une tache bleue descendre en piqué vers eux.
— Parfait, fit Cassiopée, à demi soulagée. On peut y aller…
— Comment le savez-vous ? demanda Montferrat. L’oiselle n’a même pas crié.
— Pour nous signifier de partir, elle aurait fait un cercle. Or elle vient en piqué, signe qu’il faut se dépêcher…
— Alors hâtons-nous !
Sur le château de poupe du navire, un coup de sifflet retentit. Chefalitione multipliait les ordres :
— Hissez les voiles ! Sortez les rames ! Je vous veux tous à la manœuvre, comme si la mer allait se retirer !
Il n’avait pas achevé sa phrase que l’équipage lui obéissait, unissant tous ses efforts pour gagner celle que le maître de Josias, son prédécesseur sur le trône d’archevêque de la magnifique cité, avait coutume d’appeler « l’illustre métropole de Tyr ».
11.
« C’est une ville tellement bien fortifiée qu’on en parle proverbialement.
Une ville qui refuse obéissance ou soumission à qui veut s’en emparer. »
(IBN JUBAIR, Récit de voyage.)
Tyr, mars 1188
Tyr s’apprêtait à capituler.
Après avoir été conquise une première fois par Alexandre le Grand, en 332 avant J. -C., l’orgueilleuse et soi-disant indomptable Tyr envisageait maintenant de se livrer à Saladin. Déjà, les bannières noires des Ayyubides avaient été accueillies à l’intérieur de la cité, et c’est là que Conrad les découvrit, alors que La Stella di Dio pénétrait dans le port.
Deux soldats – deux Francs – gravissaient l’étroit escalier extérieur qui conduisait du port au sommet des murailles, sur le chemin de ronde. Ils portaient sur leurs épaules deux drapeaux noirs dont le fardeau était surtout moral.
— Vous deux ! leur cria Conrad depuis le pont. Arrêtez-vous !
Les soldats le regardèrent sans le reconnaître, et poursuivirent leur ascension.
Conrad laissa exploser sa colère.
— Si je vous attrape, je vous fais frire après vous avoir découpés en rondelles !
Les soldats ralentirent l’allure, hésitant sur la conduite à adopter. Ce qui était certain, c’est qu’ils n’avaient guère envie d’être l’objet des fureurs de cet individu qui n’avait même pas attendu que son bateau soit convenablement amarré pour sauter à quai et leur courir après.
— Je suis le marquis de Montferrat, seigneur de cette ville !
Surpris, les soldats s’observèrent puis s’arrêtèrent d’un commun accord.
— Seigneur…
Conrad montait vers eux à toute allure.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? glapit-il en désignant leurs étendards.
Honteux, les soldats ne surent quoi répondre ; et quand l’un d’eux fit mine d’ouvrir la bouche, Montferrat ordonna :
— Foutez-moi ça au fossé !
— Mais Saladin…
Conrad de Montferrat fit mine de dégainer son épée. Alors, pris entre ces deux tempêtes humaines, les soldats se résignèrent à obéir à celle dont les éclairs crépitaient le plus près de leurs crânes.
Et c’est ainsi que les nobles bannières des Ayyubides, au lieu d’être hissées au sommet de la cité, furent jetées dans ses douves.
La Stella di Dio venait enfin d’être amarrée, et les deux soldats francs étaient redescendus avec Conrad de Montferrat, lorsqu’un violent éclat de voix résonna de l’autre côté du port. Un chevalier, suivi d’une dizaine d’hommes en armes, arrivait à grands pas.
— Qui a osé ? cria-t-il en agitant les bras.
— Qui ose
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