Crucifère
Vésuve… Le sort les avait fait se rencontrer, mais leurs routes paraissaient devoir se séparer. C’était du moins le sentiment de Cassiopée qui, escortée par Simon, fit son apparition sur le château de proue de La Stella di Dio.
La nef arrivait en vue du port de Tyr, dont les eaux étaient étrangement calmes.
— Trop calmes, commenta Montferrat en caressant sa barbe.
Chefalitione, depuis le château de poupe, donna l’ordre d’amener les voiles.
— Je suis heureux de vous revoir, dit Montferrat à Cassiopée. Comment vous sentez-vous ?
— Bien.
La Stella di Dio ralentit.
Chefalitione descendit les rejoindre, et vint baiser la main de Cassiopée.
— Gente dame, je suis affreusement désolé. S’il avait su à quoi ces cartes serviraient, jamais mon ancêtre Virgile n’aurait commencé à les collectionner. D’ailleurs, j’envisage de vendre ma collection.
— N’en faites surtout rien ! répondit Cassiopée. La prochaine fois que j’explorerai un volcan, j’attendrai qu’il n’y ait pas d’éruption !
Il la salua, bafouilla encore mille excuses, puis retourna auprès du pilote du navire.
Tous avaient les yeux rivés sur la ville, ses rives basses perdues dans la brume, ses blanches murailles, l’étroite entrée de son port que deux tours défendaient. De là où ils étaient, ils n’y distinguaient pas d’embarcations – ce qui ne signifiait nullement qu’il ne s’en trouvait pas.
— La ville a été bâtie de telle sorte qu’on puisse observer la mer depuis l’entrée du port, sans que depuis la mer on puisse voir à l’intérieur. Des musulmans – la peste soit sur eux ! – peuvent fort bien s’y tenir embusqués, précisa le marquis de Montferrat.
— Et nous n’en saurons rien tant que nous n’y aurons pas pénétré, fit remarquer Simon.
— De plus, ajouta Montferrat, l’entrée du port n’a que soixante-dix pieds de large. Ce qui est peu pour manœuvrer. Et l’on peut aisément la fermer d’une chaîne. Si l’ennemi s’est emparé de la ville, nous risquons d’y être pris au piège.
— Tout est si calme, dit Cassiopée. Point de guetteurs sur les murailles, point de soldats faisant la ronde. Que des murailles crénelées, ponctuées de tours et de terrasses.
— Qu’en pensez-vous ? Faut-il ou non s’approcher ?
— Si c’est un piège, ils nous ont vus, dit Simon.
— Si tout va bien, il faut les rassurer, ajouta Cassiopée.
— Nous devons penser à nous !
— On doit penser à eux !
— Du calme, coupa le marquis de Montferrat. Je sais ce qu’il faut faire…
Se tournant vers le mousse, il ordonna :
— Abaisse le drapeau à tête de mort, hisse le bouclier !
Le mousse fila exécuter son ordre. Puis, quand le pavillon à tête de mort fut descendu, un bouclier orné d’une immense croix rouge fut hissé en haut du mât, de façon à signaler que leurs intentions n’étaient point belliqueuses.
— Et si la ville est musulmane, demanda Simon, que ferons-nous ?
Montferrat le regarda, en se frottant la barbe.
— J’ai une idée, dit Cassiopée.
Montferrat lui sourit.
— Vous ai-je dit que j’étais content de vous revoir ?
Elle lui rendit son sourire et tendit le poing vers le ciel. Son oiselle vint s’y poser presque aussitôt. Cassiopée lui parla à l’oreille, tout doucement, lui murmurant des paroles que ni Montferrat ni Simon ne comprirent. Étaient-elles seulement compréhensibles ? Ils n’auraient su le dire. Puis l’oiselle s’envola brusquement, gagnant la partie du ciel à la verticale de la ville.
— Grâce à elle, nous saurons si nous pouvons nous approcher, murmura Cassiopée.
— Les liens qui vous unissent à cette oiselle me surprendront toujours, dit Montferrat en souriant.
— Et moi donc, ajouta Simon sur un ton amer.
« Serais-tu jaloux ? » pensa Cassiopée. Mais elle se garda bien de le lui demander, surtout devant Conrad de Montferrat. Aussi garda-t-elle le silence, se contentant d’observer son oiselle. À l’instar de Noé, qui avait lancé corbeaux et colombes depuis son arche pour savoir si les eaux du Déluge étaient enfin redescendues, l’équipage de La Stella di Dio s’en remettait à un volatile pour savoir si Tyr était ou non entre les mains de l’ennemi.
Car depuis le départ de Montferrat, six mois auparavant, la situation des Francs en Terre sainte s’était grandement détériorée. Aux dernières nouvelles, les chrétiens ne
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