Crucifère
s’en enquérir ? répliqua froidement Montferrat.
— Moi, Renaud, baron de Sidon, à la tête de Tyr depuis que Montferrat l’a lâchement abandonnée.
— Lâchement ? Maintiendrez-vous cette accusation devant moi ?
Un brouhaha gagna les hommes en armes derrière Renaud de Sidon, qui reconnut alors le marquis de Montferrat. Rouge de confusion, il bredouilla force excuses.
Montferrat eut un geste de la main pour lui dire que ses excuses étaient acceptées, et lui demanda :
— Quelles étaient vos intentions en accueillant ici ces bannières ? Entendiez-vous tous nous convertir à l’islam ?
— Non pas. Nous sauver la vie, plutôt.
— Comment cela ?
— Saladin est à nos portes. Passez la tête par-dessus les créneaux. Vous le verrez faire les cent pas devant la ville, les bras croisés. Je lui ai promis notre reddition…
— En échange de… ?
— En échange de nos vies, monseigneur. Le sultan m’a promis de tous nous épargner si nous lui livrions la cité.
— Lui livrer la cité ? Alors qu’Acre est tombée ? Et d’où comptez-vous reconquérir Jérusalem, si cette ville est prise ?
— Ma foi… je pensais à Tripoli.
— Vous déraisonnez. Tripoli est trop au nord. Il faut absolument conserver Tyr.
— Mais nos vies…
— Sont entre mes mains, où elles sont bien gardées !
Un grondement de colère parcourut la dizaine de fantassins qui suivaient Sidon.
— Grondez, oui, grondez, leur dit Montferrat. Mais ne grondez pas contre moi. Et plutôt que d’y envoyer des drapeaux, montez vous-mêmes en haut de ces créneaux pour y crier votre colère. Si vous devez gronder, grondez contre Saladin. Gueulez-lui dessus à grands coups de perrières et de traits d’arbalètes. Insultez-le avec vos flèches et, s’il n’entend pas vos paroles, sortez à cheval les lui ficher en travers des oreilles !
— Mais alors, tous nos efforts diplomatiques, nos pourparlers…, reprit Sidon.
— Terminés ! Je suis de retour, je suis votre chef et j’opte pour la voie des armes. Que ceux qui y trouvent à redire s’en aillent sans plus attendre. Je ne les retiens pas.
Nouveau brouhaha parmi les compagnons du baron de Sidon – dont une poignée accepta de le suivre, à l’extérieur de la cité.
— Bon vent ! leur cria Montferrat en les regardant s’éloigner. Et ne vous avisez pas de revenir, ou je vous fais embrocher comme des porcs !
Le dernier homme de Sidon parti, Conrad de Montferrat se calma. Alors, se tournant vers Simon et Cassiopée, il respira une bouffée d’air de la cité et déclara :
— Ça sent déjà nettement meilleur !
Ayant regagné La Stella di Dio, où il supervisa le déchargement du matériel de guerre, Conrad de Montferrat dit à Simon et Cassiopée :
— Nos routes vont se séparer. Mais vous êtes mes amis. Les seuls, avec Josias de Tyr et le capitaine Chefalitione, en qui je puis avoir une confiance aveugle.
Tout en veillant à ce que les tonneaux de vivres et d’eau soient répartis entre les habitants de la cité, il dit à ses amis qu’il entendait préparer la venue des souverains européens en faisant de Tyr la base à partir de laquelle reconquérir Jérusalem.
— Ces rois sont peut-être lents à mouvoir, mais ils finiront par venir. Josias ne peut pas échouer. Alors, ils auront besoin de Tyr. Sans elle, il n’y a pas d’espoir.
Prenant une profonde inspiration, et alors qu’autour de lui matelots et soldats s’affairaient à vider les cales de La Stella di Dio, il continua d’expliquer à un Simon et à une Cassiopée tout ouïe :
— La ville est comme l’oignon de ce conte où une vieille mégère tente de sortir des Enfers en s’accrochant à celui qu’elle a un jour donné à un pauvre… Si nous perdons Tyr, c’en est fini de nos rêves de revanche sur les musulmans. Et ce sera l’Enfer sur terre.
— Parce qu’on peut sortir des Enfers en s’accrochant à un oignon ? demanda Simon, stupéfait.
— Il s’agit d’un conte, répliqua Cassiopée.
— N’empêche, c’est intéressant, poursuivit Simon. Est-ce que ça pourrait nous servir, pour sauver Morgennes ?
— Que t’imagines-tu ? Qu’on va jeter des oignons en Enfer, en espérant que Morgennes s’en servira pour s’envoler ?
— Excusez-moi tous les deux, intervint Montferrat, mais je crois utile de préciser que cet oignon donné à un pauvre représente la seule et unique bonne action accomplie par cette
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