Crucifère
vieille femme dans sa vie. Morgennes, lui, a donné sa vie pour la Vraie Croix et la chrétienté.
— Et c’est pour ça qu’il se retrouve en Enfer, conclut amèrement Cassiopée.
— Ne t’inquiète pas, lui dit Simon. Je te promets qu’on trouvera un moyen de l’aider. Tu peux compter sur moi.
Cassiopée était en colère. Si elle était furieuse, c’était à cause du peu de cas que la chrétienté semblait faire de son père. Alors que Saladin, au contraire, avait promis de tout faire pour sauver Morgennes et Taqi. N’avait-il pas déclaré, peu après leur chute aux Enfers : « Allah n’accepterait pas que nous ne fassions rien. Nous devons les aider » ?
Bien sûr, c’était la guerre. Et la chrétienté avait d’autres soucis que d’aller sauver des Enfers un héros qui, après tout, avait accepté de se sacrifier pour elle. Mais Saladin, assurément, avait été plus généreux envers Morgennes que tous les papes et souverains européens. D’ailleurs, c’était auprès de lui que Cassiopée comptait se rendre, une fois la sécurité de Tyr assurée.
— Justement, précisa Montferrat. Pour que la ville tienne, il va falloir se retrousser les manches. Il faut renforcer les murailles, élever les talus et creuser de nouveaux fossés. Tyr doit être comme un îlot, entre mer et terre ferme. Un îlot sur lequel les musulmans ne pourront pas prendre pied, parce que nous le défendrons bec et ongles.
— Avec Chefalitione et vous, je suis certaine que Tyr résistera à toutes les armées, dit Cassiopée.
Montferrat lui plaisait. Il avait de l’énergie à revendre, et ne se déclarait jamais vaincu. Pourquoi ne se joignait-il pas à leur quête ?
— Nous restons avec vous à Tyr, lui dit-elle, le temps que les rois arrivent. Et ensuite vous viendrez avec nous, à la recherche de mon père.
— Hélas, chère Cassiopée, est-ce bien raisonnable ? Les rois, vous le savez, peuvent arriver dans un mois comme dans une année. Êtes-vous prête à attendre tout ce temps ? Quant à moi…
Il secoua la tête, comme rechignant à lui dire ce qu’il avait sur le cœur.
— Je me demande si votre quête n’est pas totalement insensée. Avez-vous seulement l’ombre d’une chance de réussir ? Non, croyez-moi… En ce qui concerne votre père, mieux vaut prier que de parcourir le monde à la recherche de je ne sais quelle grotte ou volcan conduisant aux Enfers. Pensez à tous ces héros de l’Antiquité. Pensez à Thésée, qui fut l’un des plus grands. Même lui s’y est fait prendre au piège, et a été condamné à s’asseoir sur les Chaises de l’Oubli.
— Jusqu’à ce qu’Hercule le sauve, expliqua Cassiopée.
— Et dans votre cas, qui sera votre Hercule ?
Simon allait dire que c’était lui, mais Cassiopée le devança :
— Hercule, c’est moi. Et Thésée, c’est mon père.
Montferrat lui prit les mains, les serra dans les siennes et lui dit :
— Ce qui se joue avant la naissance et après notre mort est le domaine réservé des dieux. Laissez-les régler cela entre eux. N’y pensez même pas. Efforcez-vous plutôt de considérer que la mort n’existe pas – ce qui dans une certaine mesure est la stricte vérité. En tout cas, moi, comme disait notre cher saint Augustin, « si je savais que mon père était en Enfer, je ne prierais pas plus pour lui que pour le Diable ».
— Je ne suis pas d’accord, répliqua Cassiopée. Si on ne prie pas pour ceux qui sont en Enfer ou qui méritent d’y aller, alors pour quoi, pour qui prions-nous ? Même le Diable a besoin de notre amour, et de notre compassion.
— Parole de sainte ! Hélas, je ne suis qu’un homme – et surtout un soldat.
Sur ce, il alla donner des ordres à ses officiers. Il voulait qu’avant la nuit plusieurs nefs aient quitté la ville, avec à leur bord autant d’arbalétriers qu’il était possible d’en embarquer. Son but était double. Il s’agissait premièrement d’assurer la défense de la ville, côté mer. Secondement, d’aller harceler l’assaillant, en le prenant en tenaille de part et d’autre de l’isthme où il avait son camp. À la perspective de ses futurs succès, Montferrat se frottait les mains.
Ses instructions transmises, il regagna à grands pas sa cabine, suivi de Cassiopée et de Simon :
— J’ai un cadeau à vous faire, leur dit-il.
De retour dans sa cabine, il se dirigea vers un coffret. L’ayant ouvert, il en sortit le petit
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