D'Alembert
terre, n'est pas la cause de la rotation qui produit les jours et les nuits ; il ne pourrait, si la terre était homogène et sphérique, ni l'accélérer ni la ralentir. Mais sur un globe aplati et hétérogène l'action est déviée et, ne s'exerçant pas exactement vers le centre, produit une rotation qui déplace chaque jour d'une quantité inappréciable aux observations la position de l'axe du monde. Newton a signalé cette cause incontestée du phénomène. D'Alembert l'a soumise au calcul. Écoutons Laplace, en pareille matière le grand juge. «La découverte de ces résultats, dit-il après avoir expliqué le détail du phénomène, était au temps de Newton au-dessus des moyens de l'analyse et de la mécanique ; il fallait en inventer de nouveaux.
L'honneur de cette invention était réservé à d'Alembert. Un an et demi après la publication de l'écrit dans lequel Bradley présenta sa découverte, d'Alembert fit paraître son traité de la précession des équinoxes, ouvrage aussi remarquable dans l'histoire de la mécanique céleste et de la dynamique, que l'écrit de Bradley dans les annales de l'astronomie.»
D'Alembert en suivant sa voie devait rencontrer les plus grands problèmes de la mécanique céleste. Les questions depuis Newton étaient nettement posées, et nul mieux que lui n'était préparé à la lutte. Le traité de dynamique de d'Alembert est l'annonce et en quelque sorte le prologue de la mécanique analytique, chef-d'oeuvre de Lagrange. Les écrits de d'Alembert sur le système du monde forment un traité de mécanique céleste dans lequel Laplace, qui l'a loyalement reconnu, a largement et fructueusement puisé. D'Alembert a repris la théorie de la lune esquissée seulement par Newton. Le problème appartenait à tous ; si Clairaut et Euler, en l'abordant en même temps que lui, y ont rencontré les mêmes succès, il faut se garder d'en conclure qu'il fût facile.
Newton y avait échoué, et les forces réunies des trois nouveaux athlètes ont laissé à leurs successeurs un vaste champ à parcourir.
Les observations se perfectionnent ; après les degrés sont venues les minutes, après les minutes les secondes, et aujourd'hui les dixièmes de seconde. Les calculateurs prétendent tout expliquer et y réussissent ; c'est en astronomie surtout que les détails sont la pierre de touche des théories. L'accord dans la théorie de la lune n'a pas été immédiat, et l'observation, en démentant d'abord le calcul, a éveillé de grandes émotions et provoqué d'ardentes discussions.
Diderot ne faisait qu'en rire et, sans rien entendre à la question, se faisait lire en la discutant.
«Ce qu'il y a d'utile en géométrie peut, disait-il, s'apprendre en six mois. Le reste est de pure curiosité.»
Cela est vrai sans doute. Mais la poésie, la peinture, la métaphysique et bien d'autres produits de l'activité humaine sont aussi de pure curiosité ; si l'on doit pour cela les envelopper dans un même dédain, la barbarie deviendra l'idéal des sages et le voeu des gens sensés. «Il n'existe dans la nature, ajoute Diderot, ni surface sans profondeur, ni ligne sans largeur, ni point sans dimensions, ni aucun corps qui ait cette régularité hypothétique du géomètre Dès que la question qu'on lui propose le fait sortir de ses suppositions, dès qu'il est forcé de faire entrer dans la solution d'un problème l'évaluation de quelques causes ou qualités physiques, il ne sait plus ce qu'il fait.»
«Si le calcul s'applique si parfaitement à l'astronomie-c'est toujours Diderot qui parle--c'est que la distance immense à laquelle nous sommes placés des corps célestes réduit leurs orbes à des lignes presque géométriques. Mais prenez le géomètre au toupet et approchez-le de la lune d'une cinquantaine de diamètres terrestres : alors, effrayé du balancement énorme et des terribles alternatives du globe lunaire, il trouvera qu'il y a autant de folie à lui proposer de tracer la marche de notre satellite dans le ciel que d'indiquer celle d'un vaisseau dans nos mers quand elles sont agitées par la tempête.»
L'imagination de Diderot le sert mal. Les géomètres ont depuis le traité de d'Alembert perfectionné sans cesse les calculs dont il a nettement donné le principe. Glairaut et Euler ses contemporains, Lagrange et Laplace, et, après eux, Plana, Damoiseau, Hansen, Delaunay et Adams ont inscrit leurs noms dans l'histoire de la science en consacrant de nombreuses années
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