Dans le jardin de la bête
américaine et déclarait que « Le devoir, le sens du sacrifice 3 et la discipline » étaient des vertus qui devraient primer dans toutes les cultures. « Ces exigences morales que le président impose à chaque citoyen des États-Unis sont également la quintessence de la philosophie de l’État allemand, qui trouve son expression dans la devise : “Le bien public transcende les intérêts de l’individu.” »
Phillips le qualifiait de « curieux message » 4 . Pour Dodd, de même que pour Hull et Phillips, il était évident qu’Hitler espérait établir un parallèle entre Roosevelt et lui, et que la réponse américaine officielle devait être rédigée avec beaucoup de soin. Cette tâche incombait à Phillips et au chef des Affaires de l’Europe occidentale, Moffat, l’objectif étant, selon ce dernier, « d’éviter de tomber dans le piège d’Hitler » 5 . La lettre qui en résulta remerciait Hitler pour ses aimables déclarations et notait que son message ne s’appliquait pas à Roosevelt personnellement mais au peuple américain dans son ensemble, « qui a librement et volontiers consenti des efforts héroïques 6 en vue de notre redressement ».
Dans son journal, Phillips nota : « Nous cherchions à éviter de donner l’impression 7 que le président devenait fasciste. »
Le lendemain, lundi 26 mars, Dodd se rendit à pied à la Maison-Blanche pour déjeuner avec Roosevelt. Ils discutèrent de la poussée d’hostilité envers l’Allemagne qui avait surgi à New York à la suite du pseudo-procès, un peu plus tôt ce même mois. Dodd avait entendu un New-Yorkais exprimer la crainte que « tout cela dégénère en petite guerre civile » 8 à New York. « Le président a également abordé le sujet, écrit Dodd, et m’a demandé si je pouvais faire en sorte que les Juifs de Chicago annulent leur simulacre de procès prévu pour mi-avril. »
Dodd accepta. Il écrivit aux dirigeants juifs, dont Leo Wormser, pour leur demander « de calmer les choses autant que possible » 9 et s’adressa aussi au colonel House pour lui demander d’exercer son influence dans le même sens.
Aussi impatient que fût Dodd de rejoindre sa ferme en Virginie, il se réjouissait à l’idée de la réunion prévue au début de cette semaine, durant laquelle il aurait enfin la possibilité de présenter directement aux membres du bon petit club ses critiques des comportements et des pratiques du service diplomatique.
Il s’adressa à un public où figuraient Hull, Moffat, Phillips, Wilbur Carr et Sumner Welles. Contrairement à son discours de Columbus Day à Berlin, il parla avec franchise, sans prendre de précautions oratoires.
L’époque du « style Louis XIV et victorien » 10 était finie, proclama-t-il. Les pays sont ruinés, « y compris le nôtre ». Il était temps « d’arrêter de mener grand train ». Il fit état d’un officier consulaire américain qui avait expédié suffisamment de mobilier pour remplir une maison de vingt pièces… alors que sa famille se composait de deux personnes. Il ajouta qu’un de ses simples adjoints « avait un chauffeur, un concierge, un majordome, un valet, deux cuisinières et deux femmes de chambres à son service ».
Chaque fonctionnaire devrait vivre dans les limites de son traitement, que ce fût trois mille dollars par an pour un officier subalterne ou les dix-sept mille cinq cents dollars qu’il recevait lui-même en tant qu’ambassadeur en titre, et chacun devrait connaître l’histoire et les coutumes du pays d’accueil. On devait seulement envoyer à l’étranger des hommes qui « pensent aux intérêts de leur pays, et un peu moins à porter une tenue différente chaque jour ou à assister à des dîners et des spectacles joyeux mais stupides tous les soirs jusqu’à une heure du matin ».
Dodd sentit que ce dernier point avait fait mouche. Il nota dans son journal : « Sumner Welles tiqua un peu : il est propriétaire d’un manoir à Washington qui éclipse la Maison-Blanche à plusieurs égards et est presque aussi spacieux. » La demeure de Welles, que certains appelaient « La maison aux cent pièces » 11 , se tenait sur Massachusetts Avenue, après Dupont Circle, et était célèbre pour son opulence. Welles et sa femme possédaient aussi une propriété d’une centaine d’hectares aux abords de la ville, Oxon Hill Manor.
Quand Dodd eut
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