Dans le jardin de la bête
organisé le système d’espionnage le plus efficace que l’Allemagne ait jamais connu. »
S’il possédait un tel pouvoir, lui demanda Martha, pourquoi avait-il manifestement aussi peur ?
« Parce que j’en sais trop », répliqua-t-il.
Diels avait besoin de consolider ses défenses. Il dit à Martha que, plus ils pourraient être vus ensemble, elle et lui, plus il se sentirait en sécurité. Ce n’était pas une simple phrase destinée à raviver leur ancienne flamme. Même Göring en était venu à le considérer comme un atout dévalué. Dans le tumulte des passions qui s’affrontaient à Berlin ce printemps-là, le plus grave danger pour Diels tenait à son refus de choisir son camp, ce qui provoquait la méfiance de tous à des degrés divers. Il devint paranoïaque au point de croire qu’on essayait de l’empoisonner.
Martha n’était pas opposée à l’idée de passer davantage de temps avec lui. Elle aimait s’afficher en sa compagnie et obtenir le point de vue de quelqu’un au centre du pouvoir. « J’étais jeune et assez audacieuse 6 pour vouloir me placer aussi près que possible du cœur de l’action », écrit-elle. Mais, là encore, elle possédait ce que Diels n’avait pas : en tant que fille de l’ambassadeur américain, elle ne courait aucun risque.
Toutefois, un ami la mit en garde : dans cette affaire, elle « jouait avec le feu ».
Durant les semaines qui suivirent, Diels resta près de Martha et se comporta « comme un lapin effrayé » 7 , bien qu’elle crût percevoir que Diels – le vieux Lucifer plein d’assurance – prenait un certain plaisir à s’extirper de cette situation délicate.
« Dans une certaine mesure, le danger 8 dont il se sentait menacé lançait un défi à sa ruse et son habileté, écrit-elle. Arriverait-il à se montrer plus malin qu’eux, pourrait-il leur échapper ? »
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A FFRONTER LE CLUB
L e bateau de Dodd accosta à Quarantine Station, dans le port de New York, le vendredi 23 mars. Il avait espéré que son arrivée échapperait à la presse, mais, de nouveau, ses plans furent contrariés. Des reporters venaient souvent guetter l’arrivée des grands transatlantiques en présumant, souvent à juste titre, qu’un important personnage se trouverait à bord. À tout hasard, Dodd avait préparé une brève déclaration en cinq phrases et il la lut bientôt devant deux journalistes qui l’avaient repéré. Il expliqua qu’il était rentré aux États-Unis « pour un bref congé 1 … afin de prendre un peu de repos nécessaire étant donné l’atmosphère tendue en Europe ». Il ajouta : « Contrairement aux prédictions de beaucoup d’observateurs des problèmes internationaux, je suis à peu près certain que nous ne subirons pas la guerre dans un proche avenir. »
Il fut ragaillardi de voir que le vice-consul allemand à New York était venu l’accueillir à sa descente de bateau, porteur d’une lettre d’Hitler à remettre à Roosevelt. Dodd fut particulièrement heureux que son ami le colonel House ait envoyé sa « belle limousine » 2 pour l’emmener à la demeure du colonel à Manhattan dans la 68 e rue Est, au coin de Park Avenue, en attendant son train pour Washington – une chance, écrivit Dodd dans son journal, parce que les chauffeurs de taxi étaient en grève « et si j’étais allé à l’hôtel, les gens de la presse m’auraient harcelé jusqu’au départ de mon train pour Washington ». Dodd et le colonel eurent une discussion franche. « House m’a fourni des renseignements précieux sur les responsables qui me sont hostiles au Département d’État et avec lesquels je dois négocier. »
Mieux que tout, peu après son arrivée, Dodd réceptionna le dernier chapitre de son Vieux Sud , fraîchement dactylographié par Mildred Fish Harnack, l’amie de Martha, et envoyé par la valise diplomatique.
À Washington, Dodd descendit au Cosmos Club, qui se trouvait à l’époque sur Lafayette Square, juste au nord de la Maison-Blanche. Le matin de son premier jour à Washington, il se rendit à pied au Département d’État pour le premier d’un grand nombre de réunions et de déjeuners.
À onze heures, il rencontra le secrétaire Hull et le sous-secrétaire Phillips. Ils passèrent beaucoup de temps à composer une réponse à la lettre d’Hitler. Le Führer louait les efforts de Roosevelt en vue de restaurer l’économie
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