Dans le jardin de la bête
conclu son exposé, son public le félicita et l’applaudit. « Je n’étais pas dupe, cependant, après deux heures d’un prétendu assentiment. »
En effet, sa conférence 12 avait aggravé l’antipathie du bon petit club à son égard. Au moment de son allocution, certains de ses membres, plus particulièrement Phillips et Moffat, avaient commencé à exprimer en privé une hostilité marquée 13 .
Dodd se rendit dans le bureau de Moffat. Plus tard le même jour, Moffat consigna un bref jugement sur l’ambassadeur dans son journal : « Il est… loin de posséder une pensée claire 14 . Il exprime une grande insatisfaction vis-à-vis d’une situation, puis rejette toute proposition pour y remédier. Il désapprouve tout son personnel mais ne souhaite pas de mutation. Il se méfie à tour de rôle de presque tous les gens avec qui il est en contact, et il est un peu jaloux. » Moffat le qualifiait de « pauvre inadapté ».
Dodd semblait ne pas se rendre compte qu’il libérait des énergies qui risquaient de mettre en danger sa carrière. Au contraire, il prenait plaisir à titiller l’esprit clanique de ses adversaires. Avec une grande satisfaction, il dit à sa femme : « Leur protecteur en chef 15 – probablement voulait-il parler de Phillips ou de Welles – est très troublé. S’il attaque, ce ne sera certainement pas à découvert. »
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S AUVER D IELS
L a peur que Diels éprouvait augmenta au point que, en mars, il réclama de nouveau l’aide de Martha, cette fois dans l’espoir d’obtenir, par son intermédiaire, l’assistance de l’ambassade américaine. Ce fut un moment singulier : le chef de la Gestapo quêtait de l’aide auprès des fonctionnaires américains. Diels avait entendu dire que Himmler voulait l’arrêter, peut-être le jour même. Il ne se faisait pas d’illusion : Himmler voulait sa peau.
Diels savait qu’il avait des alliés à l’ambassade américaine, à savoir Dodd et le consul général Messersmith, et il pensait qu’ils pourraient contribuer à assurer sa sécurité : ils interviendraient auprès du régime d’Hitler en exprimant leur intérêt pour sa bonne santé. Mais comme il le savait, Dodd était en congé. Diels demanda à Martha de consulter Messersmith, qui était maintenant de retour de vacances, pour voir s’il pouvait faire quelque chose.
Même si, aux yeux de Martha, Diels avait tendance à dramatiser, cette fois, elle le crut face à un péril mortel. Elle alla trouver Messersmith au consulat.
Elle était « visiblement dans un état de grande agitation » 1 , remarqua Messersmith. Elle éclata en sanglots et lui annonça que Diels allait être arrêté ce jour-là, « et qu’il était presque certain qu’il serait exécuté ».
Elle retrouva son calme et supplia Messersmith d’aller voir Göring immédiatement. Elle tenta la flatterie en disant que Messersmith était le seul homme qui pouvait intervenir « sans mettre en danger sa propre vie ».
Messersmith resta impassible. Désormais, il n’éprouvait plus que de l’antipathie pour Martha. Sa conduite – ses multiples aventures – le répugnait. Étant donné ses relations supposées avec Diels, Messersmith n’était pas surpris qu’elle soit venue le trouver « dans un état hystérique ». Il lui dit qu’il ne pouvait rien faire « et avec de grandes difficultés, je suis parvenu à la faire sortir de mon bureau ».
Quand elle fut partie, toutefois, Messersmith réfléchit. « J’ai commencé à réexaminer la question et me suis rendu compte qu’elle avait raison sur un point : Diels, après tout, était l’un des meilleurs éléments du régime en place, de même que Göring, et au cas où il arriverait quelque chose à Diels et que Himmler s’imposait, cela affaiblirait la position de Göring et des membres les plus raisonnables du Parti. » Si Himmler dirigeait la Gestapo, d’après Messersmith, Dodd et lui auraient infiniment plus de mal à contrer les agressions futures contre les Américains, « car Himmler était connu pour être encore plus insensible et impitoyable que le Dr Diels ».
Messersmith avait un déjeuner prévu ce jour-là au Herrenklub, un cercle conservateur réservé aux hommes, sur l’invitation de deux éminents généraux de la Reichswehr. Mais à présent, comprenant qu’une entrevue avec Göring était infiniment plus importante, il se dit qu’il devrait peut-être
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