Dans le jardin de la bête
pour suivre une cure afin de soulager ses maux ».
« Au vu de l’incertitude de la situation 3 , écrivit Dodd dans ses carnets, peut-être a-t-il bien fait de ne pas accepter. »
S’ajoutant à l’agitation ambiante de cette journée, une collision se produisit juste devant le 27 a ; le chauffeur de l’ambassade – un certain Pickford – percuta une moto et cassa la jambe du motard. Une jambe de bois 4 .
Au milieu de tout cela, une question particulièrement pressante restait en suspens pour Dodd : qu’était-il advenu de von Papen, le héros de Marbourg, qu’Hitler détestait tellement ? Certains rapports affirmaient qu’Edgar Jung, l’auteur du discours du vice-chancelier, avait été exécuté et que son attaché de presse avait été également passé par les armes. Dans ce climat sanguinaire, von Papen avait-il pu survivre ?
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L ES MORTS
L e samedi, à trois heures de l’après-midi, les correspondants étrangers de Berlin se rassemblèrent à la chancellerie du Reich dans la Wilhelstrasse pour une conférence de presse donnée par Hermann Göring. Hans Gisevius, qui semble avoir eu un don d’ubiquité ce jour-là, y assistait.
Göring arriva en retard, vêtu d’un uniforme, énorme et arrogant. Il faisait chaud dans la salle et il y régnait une « tension insupportable » 1 , raconte Gisevius. Göring grimpa à la tribune. Prenant une pose très théâtrale, il parcourut du regard la foule, puis, avec une série de gestes qu’il semblait avoir répétée à l’avance, plaça la main sur son menton et roula des yeux, comme si ce qu’il allait dire était crucial, même pour lui. Il parla, dit Gisevius, « du ton lugubre et de la voix sans timbre d’un habitué des oraisons funèbres ».
Göring fit un bref récit de l’« action » qui, dit-il, était toujours en cours. « Pendant des semaines, nous avons observé 2 ; nous savions que certains dirigeants de la Sturmabteilung [SA] avaient adopté des positions très éloignées des buts et objectifs de notre mouvement, donnant la priorité à leurs intérêts et ambitions personnels, cédant à leurs penchants pervers regrettables. » Röhm était en état d’arrestation, précisa-t-il. Une « puissance étrangère » était également impliquée. Tout le monde dans la pièce supposa qu’il parlait de la France. « Le guide suprême à Munich et moi en tant que son adjoint à Berlin avons frappé avec la vitesse de l’éclair, sans distinguer les personnes. »
Göring accepta de répondre à des questions. Un reporter s’enquit, à propos de la mort de Jung, le rédacteur des discours du vice-chancelier von Papen, celle de Herbert von Bose, son attaché de presse, et celle d’Erich Klausener, un haut fonctionnaire catholique qui avait critiqué le régime : quel rapport ces gens pouvaient-ils avoir avec un putsch des SA ?
« J’ai étendu ma mission pour y inclure également les partisans de la réaction », répondit Göring, d’une voix aussi inexpressive que s’il lisait le Bottin.
Et le général Schleicher ?
Göring fit une pause et sourit largement :
« Ach , oui, vous autres, journalistes, vous aimez toujours avoir une anecdote pour faire les gros titres. Eh bien, la voilà. Le général von Schleicher avait comploté contre le régime. J’ai ordonné son arrestation. Il a eu la sottise de résister. Il est mort. »
Göring descendit de la tribune.
Nul ne savait combien de gens exactement avaient perdu la vie 3 pendant la purge. Le décompte officiel des nazis donnait un total inférieur à cent. Le ministre des Affaires étrangères von Neurath, par exemple, déclara à sir Eric Phipps, ambassadeur de Grande-Bretagne, que « quarante-trois ou quarante-six » exécutions avaient été effectuées et prétendait que toutes les autres évaluations étaient « peu crédibles et exagérées ». Dans une lettre à son ami Daniel Roper, Dodd fit état de rapports en provenance des consulats américains dans d’autres villes allemandes qui suggéraient un total de deux cent quatre-vingt-quatre morts : « La plupart des victimes n’étaient à aucun égard coupables de trahison ; leur opposition était uniquement politique ou religieuse. » D’autres calculs de hauts fonctionnaires américains donnent un chiffre beaucoup plus élevé. Le consul du Brandebourg écrivit qu’un officier SS lui avait déclaré que cinq cents hommes
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