Dans le jardin de la bête
apprirent qu’il y avait réellement un banquet pour le roi de Siam et que Göring figurait parmi les invités.
Et puis il y eut le pauvre Willi Schmid 6 – Wilhelm Eduard Schmid, un critique musical respecté d’un journal de Munich – qui jouait du violoncelle chez lui avec sa femme et ses trois enfants à ses côtés quand les SS se présentèrent à sa porte, l’embarquèrent et l’exécutèrent.
Les SS s’étaient trompés. Ils voulaient mettre la main sur un autre Schmid. Ou plutôt, un Schmitt.
Hitler envoya Rudolf Hess présenter ses excuses personnelles à la femme du critique défunt.
Le bruit courait que le nom de Putzi Hanfstaengl, dont les relations avec Hitler s’étaient refroidies, figurait sur les listes des hommes à abattre. Par une heureuse coïncidence, il se trouvait alors aux États-Unis 7 pour assister à une réunion à l’occasion des vingt-cinq ans de sa promotion à Harvard. Le fait qu’il fût invité avait créé un tollé aux États-Unis et, jusqu’au dernier moment, Hanfstaengl n’avait rien répondu qui permette de savoir s’il comptait y assister. Le soir du 10 juin 1934, il donna une réception, dont la date, avec le recul, paraît trop bien choisie pour ne pas laisser penser qu’il savait que la purge allait intervenir. Au cours du repas, il quitta la salle à manger, enfila un imperméable et des lunettes noires, et s’en alla. Il prit un train de nuit pour Cologne, où il monta dans un avion postal qui le conduisit directement à Cherbourg et, de là, embarqua à bord du transatlantique l’ Europa, à destination de New York. Il avait cinq valises avec lui et trois caisses contenant des sculptures de bustes destinées à faire des cadeaux.
La police de New York, craignant des menaces à son encontre de la part des protestataires indignés, envoya six jeunes policiers à bord pour l’aider à débarquer. Ils portaient des vestes et des cravates de Harvard.
Le 30 juin 1934, le jour de la purge, Putzi assistait à Newport, Rhode Island, au mariage de Ellen Tuck French avec John Jacob Astor III, qui passait pour le célibataire le plus riche d’Amérique. Son père avait disparu avec le Titanic . Un millier de personnes se pressaient devant l’église pour entrevoir les futurs mariés et les invités à leur arrivée. Un des premiers « À provoquer l’émoi de la foule », écrivit le reporter mondain du New York Times volubile, fut Hanfstaengl, « en haut-de-forme, queue-de-pie noire et pantalon gris rayé ».
Hanfstaengl ne savait rien de ce qui se passait dans son pays avant d’être interviewé par des reporters. « Je n’ai aucun commentaire, dit-il. Je suis ici pour assister au mariage de la fille de mon ami. » Plus tard, quand il en apprit davantage, il déclara : « Mon chef, Adolf Hitler, devait agir et a donc agi comme toujours. Hitler ne s’est jamais montré plus magnanime ni plus humain que dans les dernières quarante-huit heures. »
Intérieurement, toutefois, Hanfstaengl s’inquiétait pour sa propre sécurité et pour celle de sa femme et de son fils restés à Berlin. Il prit discrètement la température auprès du ministre des Affaires étrangères, von Neurath.
Hitler regagna Berlin le soir même. Là encore, Gisevius peut témoigner. L’avion d’Hitler apparut « avec en toile de fond le ciel rouge sang 8 , une mise en scène grandiloquente qu’on ne devait à personne en particulier », raconte Gisevius. Quand l’avion se fut posé, un petit groupe s’approcha pour accueillir Hitler, qui comprenait Göring et Himmler. Hitler fut le premier à descendre de l’appareil. Il portait une chemise marron, un blouson de cuir marron foncé, un nœud papillon noir, des bottes noires. Il paraissait pâle et fatigué et ne s’était pas rasé mais, sinon, il ne semblait pas troublé. « Il était clair que le meurtre de ses amis ne lui avait coûté strictement aucun effort, note Gisevius. Il n’avait rien éprouvé ; il s’était contenté de laisser libre cours à sa fureur. »
Dans une allocution radiodiffusée, le chef de la propagande Goebbels 9 rassura le pays. « Dans toute l’Allemagne, déclara-t-il, la paix et l’ordre règnent à présent. La sécurité publique a été rétablie. Le Führer n’a jamais été davantage maître de la situation. Qu’un destin favorable nous bénisse, afin que nous puissions parachever notre grande tâche
Weitere Kostenlose Bücher