Dans le jardin de la bête
avaient été tués et quinze mille arrêtés, et que Rudolf Diels aurait dû être assassiné mais qu’il avait été épargné à la demande de Göring. Une note d’un des secrétaires d’ambassade à Berlin indique également cinq cents exécutions et signale que des gens habitant à côté de la caserne de Lichterfelde « ont entendu les pelotons d’exécution à l’œuvre toute la nuit ». Diels estima plus tard qu’il y avait eu sept cents morts ; d’autres proches du pouvoir placèrent ce total à plus d’un millier. Aucun décompte définitif n’existe.
La mort du général Schleicher fut confirmée – il avait reçu sept balles ; son corps et celui de sa femme furent découverts par leur fille de seize ans. Un autre général, Ferdinand von Bredow, membre du cabinet de Schleicher quand il était chancelier, fut également abattu. Malgré ces morts, les militaires continuèrent de rester à l’écart, leur haine des SA dépassant leur dégoût pour le meurtre de deux des leurs. Gregor Strasser, un ancien chef nazi ayant entretenu des liens dans le passé avec Schleicher, déjeunait en famille quand deux voitures de la Gestapo se garèrent devant chez lui. Six hommes frappèrent à sa porte. Il fut embarqué et abattu dans une cellule au sous-sol du siège de la Gestapo. Hitler était le parrain de ses jumeaux. Un ami de Strasser, Paul Schulz, cadre des SA, fut emmené dans la forêt et fusillé. Pendant que ses exécuteurs retournaient à leur voiture afin d’y prendre une bâche pour couvrir son corps, il se releva, fonça… et s’en tira. C’est cette fuite, apparemment, qui avait déclenché l’explosion de rage sanguinaire de Göring. Gustav Ritter von Kahr, qui, à soixante-treize ans, ne représentait guère une menace pour Hitler, fut également tué – « tailladé à coups de hache », d’après Ian Kershaw –, apparemment pour se venger de son rôle dans le fiasco du putsch nazi, dix ans plus tôt. Karl Ernst, marié depuis seulement deux jours, n’avait aucune idée de ce qui se passait quand il fut arrêté à Brême, juste avant de lever l’ancre pour sa lune de miel. Hitler avait assisté à son mariage. Quand Ernst comprit qu’il allait être fusillé, il cria : « Je suis innocent. Vive l’Allemagne ! Heil Hitler ! » Cinq Juifs au moins furent tués pour le seul crime d’être juifs. Et puis il y eut les innombrables, les anonymes, passés au peloton d’exécution dans la caserne de Lichterfelde. La mère d’un Sturmtruppen reçut l’avis officiel de sa mort six mois après les faits, dans une note sèche d’un paragraphe qui déclarait qu’il avait été abattu dans le cadre de la défense de l’État, aucune explication supplémentaire n’étant nécessaire. La missive se terminait, comme tous les courriers de l’Allemagne nouvelle, par ces mots : « Heil Hitler ! »
Là encore, il y eut des moments de sombre comédie. Une des cibles, Gottfried Reinhold Treviranus 4 , un ministre du général Schleicher quand il était chancelier, se trouvait au milieu d’une partie de tennis au club de Wannsee quand il repéra quatre SS à l’extérieur. N’écoutant que son instinct, il s’excusa et prit ses jambes à son cou. Il escalada un mur, sauta dans un taxi et finit par débarquer en Angleterre.
Dans le centre de Berlin, un SA, qui travaillait au noir comme chauffeur de la camionnette du traiteur de l’Hôtel Adlon, fut arrêté par les SS à un barrage près de la porte de Brandebourg, non loin de l’hôtel. Le chauffeur, mal inspiré, avait gardé la chemise brune des SA sous sa veste.
L’officier SS lui demanda où il allait.
« Chez le roi de Siam » 5 , répondit le chauffeur avec un sourire.
Le SS crut qu’il faisait le malin. Rendu furieux par l’impudence du chauffeur, ses acolytes et lui le traînèrent hors de la fourgonnette et le forcèrent à ouvrir les portes de derrière. L’espace utilitaire était rempli de plateaux de nourriture.
Toujours méfiant, l’officier SS accusa le chauffeur de livrer des plats pour une des agapes organisées par Röhm.
« Pas du tout, assura le chauffeur qui ne souriait plus. C’est pour le roi de Siam. »
Le SS restait convaincu que le chauffeur se payait sa tête. Deux hommes grimpèrent dans la fourgonnette et donnèrent l’ordre au chauffeur de poursuivre jusqu’au palais où la fête était censée avoir lieu. À leur grand dépit, ils
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