Dans le jardin de la bête
Reinhard Heydrich, le nouveau chef de la Gestapo nommé par Himmler. Les messagers de la Gestapo arrivaient puis repartaient, emportant des feuillets de papier blanc sur lesquels, présumait Gisevius, figurait le nom des morts ou des condamnés. Malgré la nature grave de la situation, l’atmosphère dans le bureau de Göring était plus proche de l’ambiance d’un champ de courses. Gisevius entendait des rires gras et vulgaires, et périodiquement crier :
« Dehors !
– Ha, ha !
– Fusillez-le. »
« Toute la bande semblait être d’excellente humeur », précise Gisevius.
De temps à autre, il apercevait Göring qui arpentait la pièce dans une chemise blanche ondulante et un pantalon bleu gris fourré dans des bottes militaires noires qui lui montaient au-dessus des genoux. « Le Chat botté », se dit brusquement Gisevius.
À un moment donné, un commissaire de police au visage empourpré surgit du bureau, suivi par Göring, au teint aussi enflammé. Apparemment, une cible importante leur avait échappé.
Göring cria des instructions :
« Fusillez-les !… Prenez toute une compagnie… Fusillez ! Fusillez-les tout de suite ! »
Gisevius trouva ce spectacle absolument effroyable. « Les mots ne peuvent exprimer la soif de sang exhibée, la fureur, la haine revancharde et, en même temps, la peur, la trouille pure et simple que cette scène révélait. »
Dodd n’apprit rien du cataclysme qui balayait cette autre partie de la ville jusqu’au samedi après-midi, où il s’assit dans son jardin pour déjeuner avec sa femme. Presque au même moment, Bill, leur fils, apparut, rentrant tout juste de sa promenade en voiture. Il avait l’air agité 10 . Il leur raconta que plusieurs rues étaient fermées, dont Unter den Linden, au cœur du quartier des administrations, et que toutes ces rues étaient parcourues par des patrouilles de SS lourdement armés. Il avait aussi entendu dire qu’il y avait eu des arrestations au quartier général des SA, situé à quelques rues de là.
Aussitôt, Dodd et sa femme s’inquiétèrent pour leur fille, sortie toute la journée avec Boris Winogradov. Malgré son statut diplomatique, Boris était un homme que, même dans des circonstances ordinaires, les nazis pouvaient considérer comme un ennemi de l’État.
48
D ES ARMES
DANS LE PARC
B oris et Martha passèrent la journée sur la plage, se réfugiant dans l’ombre quand le soleil brillait trop fort puis y retournant pour en profiter de nouveau. Il était dix-sept heures passées quand ils emballèrent leurs affaires et, à contrecœur, reprirent le chemin de la ville. « La tête nous tournait 1 , raconte Martha, nous avions le corps brûlant de soleil. » Ils roulaient le plus lentement possible, ne voulant pas voir se terminer cette journée, tous deux se délectant de l’oubli qui naît du soleil miroitant sur l’eau. La température grimpait, tandis que le sol projetait dans l’atmosphère la chaleur accumulée.
Ils traversèrent un paysage bucolique adouci par la brume de chaleur qui montait des champs et des bois environnants. Des cyclistes les rattrapaient et les dépassaient, certains portant des petits enfants dans un panier sur le garde-boue avant ou dans des chariots attachés. Les femmes portaient des fleurs, et des hommes avec un sac à dos s’adonnaient à la passion allemande pour la marche à pied rapide. « C’était une ambiance familiale, chaleureuse et sympathique », nota Martha.
Pour profiter du soleil de la fin d’après-midi et de la brise qui soufflait sur la voiture découverte, Martha remonta l’ourlet de sa robe sur le haut de ses cuisses. « J’étais heureuse, écrit-elle, enchantée de ma journée et de mon compagnon, dans les meilleures dispositions envers le peuple allemand, des gens sérieux, simples et aimables, qui s’accordaient une randonnée ou un repos bien mérité, se distrayant et aimant leur campagne si intensément. »
À dix-huit heures, ils entrèrent en ville. Martha se redressa et fit retomber l’ourlet de sa jupe, « comme il convient à une fille de diplomate ».
La ville avait changé. Ils s’en rendirent compte peu à peu à mesure qu’ils se rapprochaient du Tiergarten. Il y avait moins de gens dans la rue qu’habituellement, et ils tendaient à former de « curieux groupes immobiles », rapporta Martha. La circulation avançait lentement. Au moment où Boris allait
Weitere Kostenlose Bücher