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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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possible pour le convaincre. Sir Eric Phipps, l’ambassadeur de Grande-Bretagne, accepta tout d’abord  9  la version officielle ; il lui fallut six semaines pour se rendre compte qu’il n’y avait jamais eu de conspiration. Quand Phipps rencontra Hitler face à face plusieurs mois plus tard, ses pensées retournèrent à la purge. « Cela ne lui donne pas plus de charme  10  ni d’attrait, écrivit-il dans son journal. Tandis que je parlais, il me dévorait des yeux avidement comme un tigre. J’en ai tiré la nette impression que, eussent ma nationalité et mon statut été différents, j’aurais fait partie de son repas du soir. »
    Dans cette évaluation, il ne fut pas loin de saisir le véritable message de l’épuration de Röhm, qui continuait d’échapper au reste du monde. Les meurtres démontraient en des termes irréfutables jusqu’où Hitler était prêt à aller pour conserver le pouvoir, mais les observateurs choisirent d’interpréter cette violence comme un règlement de comptes interne – « un genre de bain de sang entre truands  11  évoquant le massacre de la Saint-Valentin d’Al Capone, explique l’historien Ian Kershaw. Ils pensaient encore que, sur le plan diplomatique, ils pourraient traiter avec Hitler comme avec un homme d’État responsable. Les années suivantes leur réserveraient une amère leçon : ils comprendraient que le Hitler qui dirigeait les Affaires étrangères était le même qui avait fait preuve d’une brutalité sauvage et cynique dans son pays le 30 juin 1934 ». Dans son livre, Rudolf Diels admet que, sur le coup, il n’avait pas compris ce qui se passait. « Je… ne soupçonnais pas que cet éclair  12  annonçait une tempête, dont la violence allait renverser les vieilles digues pourries des gouvernements européens et mettre le feu au monde entier… parce que c’était cela, précisément, le sens du 30 juin 1934. »
    Comme on peut s’y attendre, la presse muselée loua la détermination d’Hitler et, dans le public, sa popularité monta en flèche. Les Allemands étaient tellement lassés des intrusions des Sturmtruppen dans leur vie que la répression parut être une bénédiction. Un rapport du renseignement émanant des sociaux-démocrates en exil  13  relevait que beaucoup d’Allemands « portent Hitler aux nues pour sa détermination impitoyable » et que beaucoup de membres de la classe ouvrière « se sont également ralliés à la déification sans réserve d’Hitler ».
    Dodd continuait d’espérer qu’un cataclysme précipiterait la fin du régime et croyait que la mort imminente de Hindenburg – le « seul esprit distingué » de l’Allemagne moderne, selon Dodd – la provoquerait, mais, là encore, il fut déçu. Le 2 août, trois semaines après le discours d’Hitler, Hindenburg s’éteignit chez lui à la campagne. Hitler ne perdit pas de temps. Avant la fin de la journée, il s’attribua les fonctions de président en plus de celles de chancelier, détenant ainsi le pouvoir absolu sur l’Allemagne. Faisant valoir avec fausse modestie que le titre de « président » ne pouvait être associé qu’à la personne de Hindenburg, qui avait occupé si longtemps ces fonctions, Hitler proclama que, dorénavant, son titre officiel serait « Führer et chancelier du Reich ».
    Dans une lettre confidentielle au secrétaire Hull, Dodd pronostiqua « un régime de terreur encore plus terrible  14  que celui que nous supportons depuis le 30 juin ».
    L’Allemagne accepta le changement sans broncher, au grand désarroi de Victor Klemperer, le philologue juif. Lui aussi avait espéré que la purge sanguinaire pousserait enfin l’armée à intervenir et à chasser Hitler. Rien ne se produisit. À présent, il y avait ce nouveau scandale. « Les gens ont à peine remarqué ce parfait coup d’État  15 , écrit-il dans son journal. Tout se passe en silence, étouffé sous les hymnes au défunt Hindenburg. Je jurerais que des millions de gens ne se doutent même pas de la monstruosité qui vient d’être commise. »
    Le journal munichois Münchner Neueste Nachrichten exultait : « Aujourd’hui, Hitler représente toute l’Allemagne »  16 , préférant apparemment oublier que, juste un mois plus tôt, son aimable critique musical avait été exécuté par mégarde.
     
    La pluie arriva ce week-end, trois jours d’un déluge qui détrempa la ville. Les SA étaient réduits

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