Dans le jardin de la bête
temps modernes. »
Dodd continuait d’espérer que les meurtres allaient tellement choquer l’opinion allemande que le régime tomberait mais, les jours passant, il ne vit aucun signe d’un déferlement de colère. Même l’armée était restée en retrait, malgré le meurtre de deux de ses généraux. Le président Hindenburg avait envoyé à Hitler un télégramme élogieux. « D’après les rapports qui se trouvent devant moi 24 , je constate que, grâce à votre esprit de décision et votre courage personnel, vous avez étouffé dans l’œuf les agissements des traîtres. Vous avez sauvé la nation allemande d’un grave danger. Je vous exprime par ce télégramme ma profonde gratitude et mes remerciements très sincères. » Dans un autre télégramme, Hindenburg remerciait Göring pour ses « mesures énergiques qui avaient réussi 25 à écraser les actes de haute trahison ».
Dodd apprit que Göring avait ordonné personnellement plus de soixante-quinze exécutions. Quand Göring, comme Röhm avant lui, lui exprima ses regrets de ne pouvoir assister à la réception que les Dodd projetaient pour le vendredi 6 juillet au soir, il fut heureux. « Ce fut un soulagement qu’il n’apparaisse pas 26 . Je ne sais pas ce que j’aurais fait s’il était venu. »
Pour Dodd, diplomate par accident et non par tempérament, tous ces événements étaient effroyables. C’était un chercheur et un démocrate de l’école de Jefferson, un homme rural qui aimait l’histoire et la vieille Allemagne où il avait étudié dans sa jeunesse. À présent, l’État commettait des meurtres à une échelle terrifiante. Des amis et des relations de Dodd, qu’il avait invités sous son toit pour dîner et prendre le thé, avaient été exécutés. Rien dans son passé ne l’avait préparé à cela. L’épisode mettait en évidence avec une extrême acuité ses doutes concernant ce qu’il pouvait accomplir en tant qu’ambassadeur. S’il ne servait à rien, à quoi bon demeurer à Berlin, quand son grand amour, son manuscrit du Old South , se morfondait sur son bureau ?
Quelque chose le quitta, une ultime parcelle d’espoir. Dans son journal, le 8 juillet, une semaine après le début de la purge et juste avant la date anniversaire de son arrivée à Berlin, il écrivit : « Ma tâche ici est d’œuvrer en faveur de la paix 27 et d’améliorer les relations. Je ne vois pas ce que nous pouvons accomplir tant qu’Hitler, Göring et Goebbels sont à la tête du pays. Je n’ai jamais entendu parler, ou lu au sujet de trois hommes aussi inaptes à occuper de hautes fonctions. Devrais-je démissionner ? »
Il se jura de ne jamais recevoir 28 Hitler, Göring ou Goebbels à l’ambassade, ni sous son toit, et résolut en outre de ne jamais plus « assister à une allocution du chancelier ni solliciter une entrevue pour moi-même hormis pour des motifs officiels. J’ai un sentiment d’horreur quand je regarde cet homme ».
* Littéralement : « nul ». ( NdT. )
52
L E BONHEUR
DU CHEVAL
C omme tout le monde à Berlin, apparemment, Dodd voulait cependant entendre ce qu’Hitler avait à déclarer au sujet de la purge. Le gouvernement annonça qu’Hitler s’exprimerait le soir du vendredi 13 juillet, lors d’un discours devant les députés du Reichstag dans la salle de l’opéra Kroll, où ils avaient temporairement élu domicile. Dodd décida de ne pas y assister mais de l’écouter à la radio. La perspective d’être présent lorsqu’Hitler justifierait le massacre devant des centaines de thuriféraires qui n’arrêteraient pas de lever le bras lui faisait horreur.
Ce vendredi après-midi, François-Poncet et lui avaient convenu de se retrouver au Tiergarten, comme ils l’avaient fait dans le passé pour éviter les oreilles indiscrètes. Dodd voulait savoir si François-Poncet avait l’intention d’assister au discours mais craignait que, s’il se rendait à l’ambassade de France, les espions de la Gestapo n’en concluent qu’il conspirait pour que les grandes puissances boycottent le discours – ce qu’il faisait effectivement. Dodd avait rendu visite à sir Eric Phipps à son ambassade cette semaine et avait appris que celui-ci avait également décidé de passer outre le discours. Deux visites à des ambassades majeures dans un intervalle aussi bref n’auraient pas manqué d’attirer l’attention.
Il faisait doux et
Weitere Kostenlose Bücher