Dans le jardin de la bête
ensoleillé et, de ce fait, le parc était envahi de promeneurs, la plupart à pied, mais un certain nombre de cavaliers s’avançaient lentement dans l’ombre. De temps à autre, l’atmosphère était ponctuée d’éclats de rire et des aboiements des chiens, et empanachée de la fumée des cigares s’évanouissant lentement dans l’air immobile. Les deux ambassadeurs marchèrent pendant une heure.
Comme ils s’apprêtaient à prendre congé, François-Poncet déclara spontanément : « Je n’assisterai pas au discours 1 . » Il ajouta alors une remarque que Dodd ne se serait jamais attendu à entendre de la bouche d’un diplomate moderne d’une des grandes capitales d’Europe : « Je ne serais pas surpris de me faire abattre à tout moment dans les rues de Berlin, dit-il. C’est pour cela que ma femme reste à Paris. Les Allemands nous haïssent tellement et leur chef est complètement fou. »
À vingt heures, ce soir-là, dans la bibliothèque du 27 a Tiergartenstrasse, Dodd alluma sa radio pour écouter Hitler à la tribune faire son discours au Reichstag. Une dizaine de députés étaient absents, assassinés pendant la purge.
L’opéra se trouvait de l’autre côté du Tiergarten, à vingt minutes de marche de l’endroit où Dodd était assis à présent, l’oreille tendue. De ce côté du parc, tout était paisible et calme, le soir embaumait le parfum des fleurs nocturnes. Même à la radio, Dodd pouvait entendre les gens dans la salle se lever régulièrement pour crier « Heil Hitler ! ».
« Messieurs les députés 2 , commença Hitler. Membres du Reichstag allemand ! »
Il décrivit en détail ce qu’il nomma le complot du capitaine Röhm pour usurper le pouvoir, avec l’aide d’un diplomate étranger dont il ne précisa pas le nom. En ordonnant la contre-offensive, affirma-t-il, il avait agi au mieux des intérêts de l’Allemagne, pour sauver la patrie du chaos.
« Seule une répression féroce et sanglante pouvait étouffer dans l’œuf la révolte », déclara-t-il à son auditoire. Il avait mené lui-même l’attaque à Munich, dit-il, tandis que Göring, « d’une poigne d’acier », s’en était chargé à Berlin. « Si on me demande pourquoi nous n’avons pas fait appel aux tribunaux réguliers, je répondrai : dans ces heures, je me suis trouvé responsable du destin de la nation allemande et, par conséquent, je représentais à moi seul l’autorité judiciaire suprême du peuple allemand. »
Dodd entendit la clameur tandis que l’auditoire se levait d’un bond, acclamant, saluant et applaudissant.
« J’ai donné l’ordre d’exécuter les meneurs de cette rébellion. Et j’ai donné l’ordre de cautériser les abcès causés par nos poisons internes et externes, jusqu’à brûler la chair vive. J’ai également ordonné que tout fauteur de troubles tentant de résister à son arrestation soit abattu sur-le-champ. La nation doit savoir que nul ne pourra mettre impunément son existence en danger, et que celui qui lève la main contre l’État est promis à la mort. »
Il évoqua la rencontre du « diplomate étranger » en question avec Röhm et d’autres conspirateurs supposés, et la déclaration ultérieure du diplomate, selon lequel la rencontre avait été « totalement inoffensive ». C’était une allusion claire au dîner auquel l’ambassadeur François-Poncet avait assisté en mai chez Wilhelm Regendanz.
« Mais, poursuivit Hitler, quand trois hommes susceptibles de haute trahison ont rendez-vous en Allemagne avec un homme d’État étranger pour une rencontre qu’ils qualifient eux-mêmes de “réunion de travail”, quand ils renvoient les domestiques et donnent des ordres stricts pour que je ne sois pas informé de cette rencontre, je fais fusiller ces hommes, même si, dans le cours de ces conversations secrètes, les seuls sujets qu’ils ont abordés étaient le temps, les pièces de monnaie anciennes et des choses similaires. »
Hitler reconnut que le coût de la purge « avait été très élevé », puis il mentit à l’auditoire en établissant le nombre des victimes à soixante-dix-sept. Il chercha même à modérer l’effet de ce modeste décompte en affirmant que deux des victimes s’étaient suicidées et – de manière risible – que le total comprenait trois SS exécutés pour avoir « maltraité des prisonniers ».
« Je suis prêt, devant
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