Dans le jardin de la bête
famille pour Berlin, Sandburg lui intima de prendre des notes sur tout et n’importe quoi, et de « céder à toute impulsion 9 d’écrire des choses courtes, impressions, phrases lyriques soudaines que vous avez le don de faire jaillir ». Par-dessus tout, insistait-il, « découvrez de quelle étoffe est ce Hitler 10 , ce qui fait fonctionner son cerveau, ce qu’il a dans les os et le sang ».
Thornton Wilder saupoudra également 11 ses adieux de quelques conseils. Selon lui, Martha devait éviter d’écrire pour les journaux, parce que « pondre de la copie » détruirait la concentration dont elle avait besoin pour écrire véritablement. Il lui recommanda cependant de tenir un journal sur « ce qui se passait, les rumeurs, les opinions des gens à cette époque politique ». Plus tard, écrivait-il, un tel journal serait d’un « intérêt des plus vifs pour vous et – mon Dieu ! – pour moi ». Certains amis de Martha croyaient qu’elle avait une relation sentimentale aussi avec Wilder, même s’il était notoire que ses penchants le portaient ailleurs. Martha conservait une photographie 12 de lui dans un médaillon.
Durant le deuxième jour de la traversée, comme Dodd arpentait le pont du Washington , il aperçut une figure familière : le rabbin Wise, un des dirigeants juifs qu’il avait rencontrés à New York trois jours plus tôt. Durant le reste de la semaine en mer, ils discutèrent de l’Allemagne « une demi-douzaine de fois ou plus 13 , rapporta Wise à un autre responsable juif, Julian W. Mack, un juge de la cour d’appel fédérale. Il était tout à fait amical 14 et cordial, et même intime ».
Fidèle à son caractère, Dodd disserta abondamment sur l’histoire américaine et, à un moment donné, dit au rabbin Wise : « On ne peut écrire toute la vérité 15 sur Jefferson et Washington… les gens ne sont pas prêts, et ils doivent y être préparés. »
Cela surprit Wise, qui y vit « La seule note troublante de la semaine ». Il expliqua : « Si les gens doivent être préparés à entendre la vérité sur Jefferson et Washington, que fera [Dodd] de la vérité quand il l’apprendra d’Hitler, compte tenu de ses fonctions officielles ? ! »
Il poursuivit : « Quand je lui suggérais que le plus grand service à rendre à son propre pays et à l’Allemagne serait de dire la vérité au chancelier pour qu’il sache clairement que l’opinion publique, y compris parmi les chrétiens et dans le monde politique, s’était retournée contre l’Allemagne… il me répondait invariablement : “Impossible de dire tant que je n’ai pas parlé à Hitler ; si je découvre que je puis le faire, je lui parlerai très franchement et lui dirai tout.” »
Leurs nombreuses conversations à bord du paquebot amenèrent Wise à la conclusion suivante : « W.E.D. se sent chargé de cultiver le libéralisme américain en Allemagne. » Il cita la dernière réflexion de Dodd : « Ce sera assez grave si j’échoue… grave pour le libéralisme et pour tous les principes que le président défend. Et que je défends aussi », ajouta Dodd.
À ce stade, de fait, Dodd en était venu à considérer son rôle d’ambassadeur davantage comme celui d’un observateur et d’un rapporteur. Il croyait que, par la raison et l’exemple, il serait capable d’exercer une influence modératrice sur Hitler et son gouvernement et, en même temps, d’aider à pousser les États-Unis à sortir de leur isolationnisme vers un plus grand engagement sur la scène internationale. La meilleure approche, croyait-il, était de se montrer aussi sympathique et non critique que possible, et d’essayer de comprendre pourquoi l’Allemagne pensait que le monde s’était montré injuste à son égard. Dans une certaine mesure, Dodd en convenait. Dans son journal, il écrivit que le traité de Versailles, que Hitler vomissait, était « injuste en bien des points 16 , comme tous les traités qui mettent fin à une guerre ». Sa fille, Martha 17 , dans ses mémoires, se montra plus catégorique en disant que son père « déplorait » le traité.
Historien dans l’âme, Dodd en était venu à croire à la rationalité inhérente des hommes, et que la raison et la persuasion prévaudraient, en particulier en vue de mettre fin à la persécution des Juifs par les nazis.
Il confia à un ami 18 , le secrétaire d’État
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