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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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à Panofsky, qu’il corrigea ensuite abondamment, barrant et modifiant une ligne sur deux, se rendant compte manifestement que l’enjeu échappait aux rapports ordinaires entre propriétaire et locataire. Panofsky ramenait sa famille à Berlin parce que la présence de Dodd leur garantissait la sécurité. Le premier brouillon de Dodd  3  laissait entendre qu’il serait contraint à déménager sa propre famille et reprochait à Panofsky de ne pas lui avoir dévoilé ses intentions en juillet. S’il l’avait fait, écrivait Dodd, « nous ne serions pas aujourd’hui dans cette situation embarrassante ».
    La dernière version de la lettre était plus modérée. « Nous sommes en effet très heureux d’apprendre que vous allez retrouver votre famille, écrivait-il en allemand. Notre seul souci est que vos enfants ne seront pas en mesure d’utiliser leur maison à leur guise. Nous avons acheté notre maison à Chicago afin que nos enfants puissent profiter des plaisirs de la nature. Cela m’attristerait d’avoir l’impression que nous entravons la liberté de mouvement à laquelle vos enfants ont droit. Si nous avions été informés de vos projets en juillet, nous ne serions pas dans cet embarras aujourd’hui. »
    Les Dodd, comme tous les locataires dupés partout dans le monde, résolurent d’abord d’user de patience, en espérant que l’agitation provoquée par les enfants et les domestiques allait se calmer.
    Nullement. Le bruit des allées et venues, et les apparitions inopinées de jeunes enfants causèrent des moments délicats, surtout quand les Dodd recevaient des diplomates ou des hauts fonctionnaires du Reich, ces derniers n’étant que trop disposés à railler la pingrerie de Dodd – ses costumes ordinaires, la marche à pied jusqu’au bureau, la vieille Chevrolet. Et voilà que toute une famille de Juifs débarquait !
    « Il y avait trop de bruit  4  et de mouvement, surtout depuis que les devoirs de ma fonction exigeaient des dîners fréquents, se plaignit Dodd dans une note de service. Je pense que n’importe qui aurait considéré qu’il avait agi de mauvaise foi. »
    Dodd consulta un avocat.
    Avec ses ennuis de locataire et sa charge de travail toujours grandissante, Dodd avait de plus en plus de mal à trouver du temps pour œuvrer sur son Vieux Sud . Il n’arrivait à écrire que lors de brefs intervalles dans la soirée et les week-ends. Il devait se démener pour trouver les livres et les documents qu’il aurait été si simple de se procurer aux États-Unis.
    Ce qui lui pesait le plus, cependant, c’était l’irrationalité du monde dans lequel il se trouvait plongé. Dans une certaine mesure, il était prisonnier de sa propre formation. En tant qu’historien, il en était venu à penser que le monde était le produit de courants historiques et de décisions globalement rationnels, et il attendait des hommes qui l’entouraient un comportement courtois et cohérent. Mais le gouvernement d’Hitler n’était ni courtois ni cohérent, et le peuple passait d’une conduite inexplicable à une autre.
    Même le langage utilisé par Hitler et les responsables du Parti était bizarrement paradoxal. Le mot « fanatique » devenait un trait positif. Brusquement, il évoquait ce que le philologue Victor Klemperer, un Juif berlinois, décrivait comme un « heureux mélange de courage  5  et de ferveur ». Dans les journaux contrôlés pas les nazis se succédaient sans cesse des « éloges fanatiques », des « professions de foi fanatiques », une « foi fanatique », qui prenaient un sens vertueux. Göring était présenté comme un « ami fanatique des animaux » : fanatischer Tierfreund .
    Certains mots très anciens prenaient un usage moderne doté d’une robustesse menaçante, comme Klemperer le souligna. Übermensch  : surhomme. Untermensch  : sous-homme – autrement dit « un Juif ». Des néologismes apparaissaient aussi, parmi lesquels Strafexpedition – « expédition punitive » – terme que les Sturmtruppen appliquaient à leurs raids dans des quartiers juifs ou communistes.
    Klemperer détecta une certaine « hystérie du langage » dans le flot de décrets, avis et manœuvres d’intimidation – « Cette perpétuelle menace de la peine de mort ! » – et dans des épisodes étranges, inexplicables et excessivement paranoïaques, comme la récente fouille sur tout le territoire. Dans tout cela, Klemperer voyait

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