Dans le jardin de la bête
quand Dodd aborda la question des « brutalités des SA » et passa en revue une demi-douzaine d’incidents. Le plus récent était intervenu le 31 août à Berlin : un Américain, Samuel Bossard, avait été agressé par des membres des Jeunesses hitlériennes parce qu’il n’avait pas exécuté le salut nazi. Une semaine plus tôt, un autre Américain, Harold Dahlquist, avait été frappé par un membre des Sturmtruppen parce qu’il ne s’était pas arrêté pour regarder un défilé de SA. Dans l’ensemble, la fréquence de ces agressions avait diminué par rapport au printemps, mais les incidents continuaient de se produire au rythme régulier d’un ou deux par mois. Dodd avertit von Neurath que les comptes rendus de ces attaques dans la presse nuisaient gravement à la réputation de l’Allemagne aux États-Unis, et indiqua que cela se produisait en dépit de ses efforts personnels pour mettre une sourdine aux reportages négatifs des correspondants américains. « Je puis vous dire que l’ambassade est parvenue avec succès en plusieurs occasions à empêcher que des incidents sans importance soient rapportés dans la presse et a également recommandé aux journalistes de ne pas exagérer leurs affirmations », signala-t-il à von Neurath.
Il révéla alors que, en une occasion, sa propre voiture avait été arrêtée et fouillée, apparemment par un officier des SA, mais qu’il avait fait en sorte que l’incident ne soit pas ébruité « pour empêcher des polémiques à n’en plus finir, ce qui, vous le savez, aurait été inévitable ».
Von Neurath le remercia et dit qu’il se rendait compte des efforts de Dodd pour tempérer les articles de presse sur les violences des Sturmtruppen, y compris l’incident dont Martha et Bill Jr avaient été témoins à Nuremberg. Il se déclara extrêmement reconnaissant.
Dodd passa à l’épisode Kaltenborn. Il dit à von Neurath que la réaction aux États-Unis aurait pu être infiniment pire si Kaltenborn avait eu l’intention de l’ébruiter. « Il a eu cependant la générosité de nous demander de n’autoriser aucun communiqué sur cet épisode et M. Messersmith et moi-même avons insisté pour que la presse américaine n’en parle pas, expliqua Dodd. Cela est sorti malgré tout et a causé à l’Allemagne un tort considérable. »
Von Neurath, connu pourtant pour son caractère imperturbable, parut de plus en plus préoccupé, une nouveauté digne d’être relevée, ce que fit Dodd dans une note « strictement confidentielle » qu’il rédigea plus tard dans la journée. Von Neurath signala qu’il connaissait Kaltenborn personnellement et estima l’agression brutale et injustifiable.
L’ambassadeur l’observa. Von Neurath semblait sincère mais, dernièrement, le ministre des Affaires étrangères s’était montré volontiers d’accord, pour ensuite ne rien faire.
Dodd l’avertit que, si les agressions ne cessaient pas et que les assaillants continuaient à échapper au châtiment, les États-Unis pourraient être contraints de « publier une déclaration officielle qui serait fort préjudiciable pour la réputation de l’Allemagne dans le monde ».
Le teint de von Neurath vira au cramoisi.
L’ancien professeur d’histoire continua comme s’il sermonnait un étudiant indiscipliné. « Je ne comprends pas comment vos dirigeants peuvent tolérer une pareille conduite. Ne se rendent-ils pas compte que c’est là une des choses les plus graves qui pèsent sur nos relations ? »
Von Neurath affirma que, au cours de la semaine précédente, il avait abordé la question directement avec Göring et Hitler. Tous deux, dit-il, lui avaient assuré qu’ils useraient de leur influence pour empêcher d’autres agressions. Neurath s’engageait à agir de même.
Dodd poursuivit, s’aventurant à présent sur un territoire encore plus délicat : le « problème juif », comme les deux hommes le désignèrent.
Le ministre allemand demanda à l’ambassadeur américain si les États-Unis « n’avaient pas un problème juif », eux aussi.
« Certes, confia Dodd, nous avons eu de temps à autre nos difficultés aux États-Unis avec des Juifs qui prenaient trop d’importance dans certains domaines de la vie intellectuelle et commerciale. » Il ajouta que certains de ses pairs à Washington lui avaient avoué en confidence qu’ils « se rendaient compte des difficultés des Allemands à cet égard
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