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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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correspondants de presse et divers membres des SA et des SS, « jeunes, claquant des talons, courtois  3  presque jusqu’à l’absurde ». Il est douteux que Boris Winogradov y ait assisté, même si, à l’époque, Martha sortait « régulièrement » avec lui. Il est possible, voire probable, qu’elle ne l’ait pas invité, car les États-Unis n’avaient toujours pas reconnu l’Union soviétique.
    Deux hauts fonctionnaires nazis firent une apparition à la réception. L’un était Putzi Hanfstaengl, l’autre Hans Thomsen, un jeune homme qui servait d’agent de liaison entre le ministère des Affaires étrangères et la chancellerie d’Hitler. Il n’avait jamais manifesté l’enthousiasme délirant des fanatiques nazis ; par conséquent, il était apprécié par les membres du corps diplomatique et il était souvent reçu chez les Dodd. Le père de Martha discutait souvent avec lui en termes plus directs que ne l’autorisait le protocole, sachant que Thomsen ne manquerait pas de transmettre son point de vue aux cadres du parti nazi, voire à Hitler en personne. Par moments, Martha avait l’impression que Thomsen avait ses propres réserves concernant le Führer. Le père et la fille l’appelaient « Tommy ».
    Hanfstaengl arriva tard, selon son habitude. Il avait soif d’attention et, compte tenu de sa taille immense et de son énergie, il l’obtenait toujours, peu importe qui se trouvait dans la pièce. Il était plongé dans une conversation avec un invité, grand amateur de musique, sur les mérites de la Symphonie inachevée de Schubert, quand Martha s’approcha du Victrola familial et y plaça un disque du Horst Wessel Lied , l’hymne nazi qu’elle avait entendu chanter à Nuremberg par les SA lorsqu’ils défilaient.
    Hanfstaengl parut réjoui d’entendre la musique. Hans Thomsen, visiblement pas. Il se leva brusquement, puis marcha d’un pas martial jusqu’au phonographe et l’arrêta.
    L’air parfaitement innocent, Martha lui demanda pourquoi il n’aimait pas la musique.
    Thomsen la fusilla du regard, le visage dur. « Ce n’est pas le genre de musique  4  qu’on passe avec désinvolture dans des réceptions hétéroclites, gronda-t-il. Je ne vous laisserai pas jouer notre hymne, avec ce qu’il signifie, dans une réunion mondaine. »
    Martha resta figée sur place. Elle était chez elle, c’était sa réception et, surtout, en territoire américain. Elle pouvait en faire à sa tête.
    Hanfstaengl toisa Thomsen avec « un air de vif amusement teinté de mépris », rapporte Martha. Il haussa les épaules, puis s’assit au piano et se mit à taper comme un sourd avec sa fougue habituelle.
    Plus tard, Hanfstaengl prit Martha à part : « Oui, dit-il, il y a des gens comme ça parmi nous. Des gens qui ne comprennent rien et n’ont aucun humour… il faut prendre garde à ne pas froisser leur âme sensible. »
    Cependant, le coup d’éclat de Thomsen eut sur Martha un effet d’une force inattendue et durable, car il émoussa son enthousiasme pour l’Allemagne nouvelle, de la même façon qu’une seule phrase cruelle peut précipiter un mariage vers le déclin.
    « Habituée toute ma vie au libre échange des idées, remarque-t-elle, l’atmosphère de cette soirée me choqua et me frappa comme une sorte d’infraction aux règles du savoir-vivre dans les relations humaines. »
     
    Dodd aussi commençait à avoir un aperçu de l’hypersusceptibilité de l’époque. Aucun événement n’en donne mieux la mesure qu’un discours qu’il fit devant la succursale berlinoise de la chambre de commerce américaine à l’occasion de Columbus Day * , le 12 octobre 1933. Ses propos parvinrent à susciter la fureur non seulement en Allemagne, mais aussi, comme Dodd l’apprit avec consternation, au Département d’État et parmi les nombreux Américains qui préféraient que leur pays s’abstienne de se mêler des affaires européennes.
    Dodd pensait qu’une partie importante de sa mission était d’œuvrer discrètement en faveur de la modération ou, comme il l’exprima dans une lettre à l’avocat Leo Wormser à Chicago, « de continuer à convaincre  5  et à implorer les gens ici de ne pas devenir leurs propres ennemis ». L’invitation à prononcer un discours semblait représenter une occasion idéale.
    Son idée était d’utiliser l’histoire pour critiquer le régime nazi de manière indirecte, de sorte que seuls ceux parmi

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